Elle m’appelait Tiki : partie 9 28 avril
Le soir après leur départ, comme chaque soir je suis entrée dans sa chambre pour lui souhaiter une bonne nuit. Elle était épuisée mais si heureuse. Elle m’a tendu la main et a dit « Nadine Tiki, viens. ». Je me suis assise sur le lit. Elle m’a demandé « dis moi ma chérie comment dit on petite fille dans ta langue maternelle ? » Je lui ai répondu la gorge nouée par l’émotion « on dit muladi » « Alors pour dire petite fille chérie on dit muladi tiki ? ». Je lui ai répondu « non Mbambe on dit « Tik’a muladi ». Elle m’a regardé et a murmuré « Tik’a muladi » en m’ouvrant les bras. J’ai posé ma tête contre son cœur. Elle a murmuré encore et encore « tik’a muladi ». Je pleurais contre son sein parce qu’elle faisait de moi sa petite fille, pas seulement sa chérie, mais sa petite fille chérie. Le fait d’avoir vu ses petits enfants, de les avoir étreints l’autorisait à me faire de la place dans cette relation là.
Ses petits enfants sont revenus souvent avec leur père, mais sans leur mère. Mbambe était heureuse et apprenait à connaître leurs goûts. Ils lui téléphonaient souvent. C’était trop tard pour être complices, mais heureusement ça ne l’était pas pour s’aimer. Les enfants l’aimaient. Elle était si facile à aimer. Six mois après s’être installée chez nous, Mbambe est morte dans son sommeil.
Le jour de son enterrement le ciel était orageux. Je me tenais en retrait et je pleurais. Elle allait me manquer au delà des mots. Ma consolation je la puisais dans la sérénité sur ses traits au moment de sa mort. Elle était partie heureuse d’avoir pu profiter un peu de ses petits enfants.
Ils l’appelaient grand-mère, je l’appelais Mbambe. Et elle m’appelait avec un accent délicieux « tik’a muladi ». C’est le magnifique cadeau qu’elle m’a laissé, sa voix qui chantonnait sa tendresse pour moi dans ma langue maternelle.
Le vase en verre qui venait de se briser avait fait remonter tous ces souvenirs alors que du balcon de l’appartement dans lequel étudiante je vivais avec ma famille, je voyais mettre dans un camion de déménagement les souvenirs de la vie de ma grand-mère de cœur, je ne pouvais m’empêcher de pleurer. Pour Jacques son fils qui supervisait les opérations, le vase qui venait de se briser n’était que du verre. Pour moi c’était le témoignage d’un amour magnifique qui venait de se briser. L’amour absolu qu’avait éprouvé une femme que j’avais aimée bien plus que bien des membres de ma famille. Nous nous étions trouvées.
Alors que je regardais s’éloigner les déménageurs, j’ai senti dans mon sein je sentis remuer mon bébé, ma petite fille. Elle s’appelera Léone.
Un jour je lui raconterais la vie de son arrière grand mère d’adoption, ma grand-mère adoptée, celle qui m’appelait Tiki.
(Fin)