Elle avait vécu son rêve : Partie 5 28 avril
Il regarda sa jeune épouse et s’amusa de son air comblé. Il savait n’avoir pas le pouvoir d’allumer cette lueur dans ses yeux. Elle était belle. Elle était heureuse. Elle savourait l’instant. Derrière eux étaient assis leurs deux enfants Margareth-Victoria et Elisabeth-Ann, âgés respectivement de six et huit ans.
La jeune femme savourait les mots de l’évêque qui parlait de l’alliance, de dix ans d’amour. Du modèle que représentait cette famille. Il parlait de son action d’alphabétisation des filles du quartier, du cœur extraordinaire et de la compassion dont savait faire preuve cette très jeune femme qui aurait pu se contenter de profiter égoïstement de la vie. Quelques chuchotements montèrent des travées. La jeune femme se regorgeait de ces murmures qu’elle supposait d’admiration.
Dans les travées, quelques âmes bien pensantes s’interrogeaient ironiquement sur les sources d’information du prélat. Mais la jeune femme tenait son heure de gloire. Elle était consacrée princesse du peuple par un évêque aux habits de héros et à la parole respectable et respectée. La belle société la découvrirait telle qu’elle s’était rêvée.
La célébration de ses dix années de mariage n’était en fait que le prétexte à la consécration d’une fonction d‘épouse de chef qu’elle avait réinventée et modernisée. Dès le début de son mariage, elle avait réfléchi et oeuvré pour se saisir de cette date et d’en faire un moment essentiel à sa consécration. Son époux tenait un rôle accessoire dans la scène qui se jouait. C’était sa journée, il l’accompagnait vers son destin. La princesse Diana n’était plus. Elle s’était trouvé un autre modèle. Elle s’identifiait à la reine Rania de Jordanie, une femme qui comme elle, réinventait et modernisait sa fonction.
La cérémonie était belle. Elisabeth-Ann fit une lecture pleine de charme d’un texte des évangiles tiré de la lettre de Paul aux corinthiens. « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien » Il se produisit alors un moment à la fois charmant et révélateur. Elisabeth Ann buta sur une phrase et plutôt que de dire « l’amour s’irrite pas » elle dit quelque chose qui phonétiquement s’entendit ainsi « l’amour de s’hérite pas ». Sa maladresse enfantine provoqua une hilarité bon enfant dans la foule conquise par la charmante enfant. La petite fille ne savait pas qu’elle avait fait un lapsus familial. Après la sortie de l’église un dîner somptueux fut servi dans les jardins du plus grand hôtel de la ville. La soirée fut parfaite. Elle fut la reine de la soirée, vêtue d’une robe du soir alliant avec grâce les couleurs pourpre et des impressions dorées. Elle recevait avec grâce les hommages des invités et se délectait des regards envieux de ces dames de la haute société. Les dames la regardaient pour la plupart avec une considération nouvelle alors qu’elle ouvrait le bal en valsant dans les bras de son époux au dos fragile. L’on parlerait longtemps de cette réception et de sa capacité à organiser une réception éblouissante. Elle frôla l’extase lorsque Marguerite Limba, personnalité en vue de la ville, fille de chef et épouse du maire lui demanda comment la rejoindre dans ses œuvres de charité. Elle tenait son rêve, elle était une princesse, adoubée par une notable parmi les notables, une notable au sang royal. La soirée se déroula sans fausse note et mit des étoiles dans ses yeux. Elle savourerait longtemps le souvenir cette belle soirée se dit elle dans la salle de bains alors qu’elle se démaquillait. Elle leur en avait mis plein la vue. La présence et les louanges de l’évêque parlant de sa noblesse d’âme qui rencontrait la noblesse de son rang étaient un must absolu. Ce soir là en se couchant à côté de son mari, elle avait encore des étoiles plein les yeux, elle avait atteint son rêve. Si seulement sa mère avait pu la voir ce soir. Elle se blottit contre son époux et murmura : « merci chéri ». Ce soir elle était comblée. Il la serra contre lui et ils s’endormirent.
Le matin alors qu’elle prenait le petit déjeuner avec ses filles, elle vit arriver son mari. Pour la première fois de sa vie, elle le trouva vieux. Elle ne l’avait jamais vu ainsi. Elle n’avait plus de rêves à conquérir, d’obsession décennale pour masquer cette évidence. Il lui restait toute une vie à vivre. Une vie à vivre aux côtés de cet homme. De cet homme qui se révélait vieux. Subitement. Elle avait réalisé son rêve d’adolescente, l’homme qui venait vers elle ne comblerait pas ses rêves de femme. Son époux était vieux. Et elle ne l’aimait pas. Elle avait vécu son rêve, elle avait sa vie à vivre. Dans la chaleur du matin de février, Suzanne avait froid.
(Fin)