Cette absence : Partie 2 21 mai
Il était son espoir, il désormais devenu sa douleur et son plus grand échec. Le rendez-vous manqué a jeté sur l’avenir un voile qui rend la vie un peu moins lumineuse. Il a eu tant de place tout au long de sa vie que le laisser partir est un deuil absolu. Deuil de sa vie de femme, deuil de ses rêves de mères, deuil de ses projections, le futur n’est plus. Seul le présent sera d’ici à l’éternité.
Il existe sûrement entre les cieux et elle mais elle n’a pas trouvé le chemin jusqu’à lui. Elle ne peut se résoudre à croire que le destin, ironique et cruel ait fait naître un désir, pour mieux ricaner à voir son agonie. Et des questions la hantent, sa mémoire voyage pour retrouver le jour où elle s’est trompée de route.
Ses entrailles ont tari, ses aussi yeux sont secs. Elle sera passée sur terre un souffle et puis plus rien. Qui fermera ses yeux et prolongera sa vie ? Quel bonheur sur la terre hors de la maternité alors qu’elle n’a vécu que pour cette rencontre : donner enfin la vie à son rêve d’enfant. Le bonheur pour elle, sans la maternité, n’est pas le bonheur mais juste quelques sourires dans une vallée de larmes. Elle pense aux petits bras qui n’entourent pas son cou. Elle pense à son odeur que son nez ne sent pas. Elle pense au mot « maman » banni de ses espoirs. Elle pense à leurs deux cœurs qui n’auront pas ensemble battu en harmonie avant sa naissance. Il est dur de se dire que le reste de sa vie elle aura pour compagne la douleur de la l’absence de son rêve d’enfant.
Elle se sent pour toujours la fille de ses parents, condamnée à être l’enfant sans jamais être mère. Elle sera la sœur, la tante, la cousine condamnée par une sentence dont le sens lui échappe à être celle qui est la mère de personne.
Elle n’est pas réveillée par les cris d’un bébé, ses vacances et sorties ne sont jamais contraintes. Libre comme l’air elle et après elle revient si le cœur lui en dit. Libertés amères, et contraintes espérées elle est bizarre la vie se dit-elle quand elle entend ses amies se plaindre de toutes leurs contraintes. Elles rêvent de liberté, elle envie leurs contraintes. Au milieu de tout ceci elle entend ça et là dire qu’une enfant apeurée abandonne son enfant parce qu’elle n’en voulait pas ou ne se sentait pas prête. Et de l’autre côté du lieu où elle vit une femme infanticide congèle des bébés. Ironie d’une vie ou certaines abandonnent et tuent des bébés que d’autres se meurent de ne pas avoir…
Autour d’elle elle entend ces mères qui disent « mon fils », ou qui disent « ma fille » des mots qui n’ont d’existence qu’au cœur de son silence, par la force des choses elle n’a pas le droit de prononcer ces mots.
Elle voulait espérer, mais mon corps l’a trahie et il a refermé à jamais ses espoirs bien plus vite que prévu. L’enfant ne viendra plus pour éclairer ma vie. Sur son lit d’hôpital elle les entend dire que tout s’est bien passé, l’opération disent-ils, a été un succès. La tumeur suspecte logée sur ses espoirs, a été enlevée, balayant ses rêves.
Elle est infirme de lui, et cette infirmité lui est réaffirmée chaque fois qu’on lui demande « avez-vous des enfants ? ». Au milieu des amies, elle est infirme de lui, au milieu des collègues elle est infirme de lui, et même dans sa famille, elle est infirme de lui. Il est des lieux classiques qui ne sont pas accessibles aux personnes handicapés, et ceux qui sont valides dans leur confort d’être ne voient pas pour plusieurs les limites posées à ces derniers par l’infirmité. Ils ne se doutent jamais du moment où ils entraînent celui qui est infirme au delà de ce que son corps l’autorise à faire. Et le voilà cloué, pétrifié de douleur, au milieu des célébrations de ceux qui sont valides. Telle est sa vie sans lui, sans l’enfant espéré, handicapée de lui. Lui son enfant rêvé, lui qu’elle n’a pas eu, lui dont douloureusement, elle apprend à faire le deuil.
Ce deuil elle doit le faire pour continuer la vie, il lui ouvre l’horizon, désert et solitude.
Elle à ces histoires insolites et fantaisistes qu’elle rêvait d’inventer pour lui présenter par l’imaginaire une enfance enchantée. Elle a rêvé de son rire, en entendant rire de ses neveux et nièces.
Autour d’elle ces mamans, certaines le sont par choix, tandis que d’autres non et elle au milieu d’elles se sait handicapée, infirme de cet enfant, de son enfant absent, celui qui n’est pas venu, et qui ne viendra pas. Elle doit faire bonne figure car ce n’est pas leur faute si l’enfant de ses rêves n’est jamais venu.
Sur le lit d’hôpital sur son visage des larmes, il n’y a plus d’espoir. Sur la table d’opération, pour lui sauver la vie, les chirurgiens ont tué ses espoirs d’être mère. Elle n’a pas trente neuf ans, il ne lui reste rien, sinon la certitude de cette terrible absence. Elle ne sera pas mère, elle ne sera jamais, heureuse qu’en pointillés. Cette absence majeure brise la linéarité de ses rêves de bonheur.