Les mots comme des obus meurtriers 27 janvier
Consternation et douleur
Je me souviens comme beaucoup du moment où, le 11 septembre 2001 j’ai entendu parler de la catastrophe qui avait frappé New York au cœur. Combien de nous se souviennent de ce moment, comme d’un moment qui a changé la vision du monde. La plus grande puissance du monde, celle dont les services secrets ont inspiré des films au réalisme discutable, cette hyper puissance livrait aux yeux du monde ses enfants bouleversés, terrorisés par l’horreur qui était arrivée jusqu’à eux, et courant avec effroi ça et là dans New York pour fuir l’horreur qui venait de frapper.
Je me souviens parfaitement de l’endroit où je me trouvais et de ce que je faisais au moment où j’ai appris la nouvelle. Je me souviens de l’endroit où j’allais quand j’ai entendu parler de ce terrible événement. Ma première réaction a été de pleurer. Je pleurais dans la rue, pas à chaudes larmes certes, mais mes yeux ne pouvaient retenir derrière mes paupières les larmes qui montaient à mes yeux à la pensée de toutes ces vies dévastées, à la pensées des personnes qui aimaient ceux qui sont morts. Quand j’entends parler des catastrophes qui provoquent des décès en grand nombre, je me refuse à laisser le chiffre me voiler les individualités touchées par la catastrophes et les déflagrations émotionnelles que la mort brutale de ces homme, femmes et enfants causent dans les vies de personnes dont on ne verra pas le village. Je ne me suis pas jointe à la vindicte, aux flots de haine et aux propos extrémistes qu’on légitimait par le choc des attentats. Les ondes de chocs de ce séisme ébranlent encore une terre là bas, loin de l’Amérique, du côté d’un Irak dont la reconstruction ne semble pas à l’ordre du jour. Mais ceci n’est pas mon propos et voici que pour change je digresse. Je dois vous confier que je suis atteinte de « digressite aigue. Encore un mal incurable les amis et vous n’êtes pas au bout de vos découvertes.
Pour reprendre le fil de mes idées en espérant ne vous avoir pas perdus en route, je disais que le 11 septembre a fait couler mes larmes parce que je sais les douleurs de l’absence, de l’amputation brutale d’un être aimé, happé par une mort aussi inattendue que violente. Je connais l’incompréhension. Je connais les réveils l’oreiller baigné de larmes que l’on ne savait pas avoir versées. Larmes d’empathie et larmes dues à la prise de conscience que quelque chose s’est brisé. Conscience qu’un palier de plus a été franchi dans l’horrible crescendo de la violence que l’on a vu depuis le Libéria au Rwanda, en passant par la Bosnie et le Liban. Les logiques de guerre et de violence sont de plus en plus illisibles et voici qu’une après-midi, du côté de la Plaine Saint-Denis, je suis saisie d’effroi à la nouvelle que deux avions pilotés par des hommes que la haine et le fanatisme avaient transformés en armes de destruction massive (si je peux me permettre d’utiliser un concept galvaudé plus tard par un mensonge d’Etat pour légitimer un massacre qui voit aujourd’hui mourir autour de cent irakiens par jour, sans compter les soldats américains), ces hommes devenus de véritables bombes humaines au service de la haine et de la destruction. Les tours jumelles se sont effondrées et symboliquement s’est effondrée avec elles une certaine idée du monde. Comment ne pas pleurer ? Vous trouvez que je pleure beaucoup ? Mais les larmes, au pire elles nettoient les yeux ! J’ai donc tout à y gagner non ?
Je me souviens parfaitement du moment où j’ai entendu cette nouvelle, six ans après, ce que je faisais et où j’allais. Il est des événements qui laissent des marques indélébiles dans le cœur et les souvenirs.
Consternation, douleur et morcellement intérieur :
Le 20 septembre 2006, comme d’habitude, j’écoutais la radio en rentrant du boulot. Je travaillais alors au cœur de Paris. En rentrant ce soir là, je me suis arrêtée dans une supérette pas loin de chez moi. J’écoutais en même temps débattre des journalistes sur l’actualité immédiate. J’écoutais avec intérêt parce que ces débats, de même que les appels d’auditeurs m’aident à sentir l’humeur de la nation. C’était une période tendue et le monde médiatico politique redoublait d’irresponsabilité, pointant du doigt certaines catégories de la population, les diabolisant, en suggérant à mots couvert des choses indicibles. C’est alors que, attendant mon tour à la caisse, j’ai entendu un propos que je n’aurais jamais imaginé entendre. Il s’est alors passé une chose qui m’a profondément ébranlée, et qui est d’ailleurs l’élément, le moment fondateur de ce blog. Ecrire pour na pas se laisser détruire. Pour beaucoup c’était un non événement, ce n’étaient peut-être que des mots prononcés dans le feu de l’action et à la légère par un journaliste irresponsable. J’ai entendu un journaliste dire « à niveau social égal,les noirs et les arabes sont plus criminels que les blancs ». Exactement comme le 11 septembre 2001, quelque chose a explosé, mais cette fois-ci l’explosion s’est faite en moi, avec violence. J’étais au-delà de la consternation, de la révolte, je suis entrée en douleur. Un tabou venait de sauter et un journaliste qui n’avait même pas l’excuse d’écrire pour un journal d’extrême droite a affirmé cette chose abominable, criminalisant ma race et celle d’autres humains, au mépris du respect le plus élémentaire, comme si ses propos seraient necéssairement sans conséquences. Et si ceux dont on parle avec légereté sont meurtris pas les mots assassins quelle importance ? Ce n’était pas une personne manquant d’instruction, c’était un homme instruit et nanti d’un sens de l’analyse. Et ses analyses l’ont conduit à livrer ce propos abject. Je me souviens parfaitement de ce moment. Je crains de ne jamais l’oublier.
Je sais exactement qui j’avais en face de moi, d’où je venais, où j’allais. Quelque chose s’est fracassé et j’ai entendu se briser quelque chose en moi, un son qui ressemble à l’espoir qui se brise. Viol public de ma dignité d’être par des mots d’un homme, d’un journaliste. C’est un moment qui a consacré une étrangeté qui m’explosait à la figure, à la caisse d’un magasin et en même temps dans une sorte d’irréalité, transportée en émotion au delà de l’insupportable. Le moment a été terrible et rentrée chez moi j’ai écrit dans l’urgence pour laisser sortir ce terrible mal qui s’était insinué en moi, pour me laver de cette agression, pour comprendre ce qui se passait et y réfléchir, pour prendre autant que possible une distance salutaire avec ce qui venait d’être dit et de se passer en moi. Il se trouve qu’en moi aussi, des tours jumelles se sont effondrées. Les tours jumelles internes, les deux choses fortes qui fondaient ma relation à la nation :
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Le sentiment d’appartenance à la nation dans laquelle je vivais qui s’était construit en y vivant et en m’y attachant,
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Et la liberté d’être moi en y vivant : avoir le droit de la vivre, de la regarder et de dire franchement ce que je pensais d’elle, ce droit découlant du point qui précède.
Et ces mots là, au milieu du brouhaha ambiant ont fait exploser ces tours jumelles en moi sans que personne d’autre que moi n’en soit conscient.
Depuis des années pourtant, au gré des périodes électorales, des mots qui blessent étaient venus rencontrer mes émotions et mes indignations, entre le bruit, l’odeur, et le reste. pourtant j’avais résisté. Mais là, quelque chose s’est passé qui a brisé ma résistance. Comme les tours jumelles presque cinq ans plus tôt jour pour jour, les deux axes de ma relation à la nation se sont effondrés sous les mots d’une incroyables violence pilotés comme des obus par la bêtise, l’irresponsabilité, le sentiment d’impunité ou le mépris de cet homme là. Sans que je m’en rende compte, il tombé comme un bâillon sur mes libertés d’être et de dire. Comme à « ground zero » dans la lointaine New York, il ne restait plus que des cendres de ce que j’avais construit des années durant. Tout était à reconstruire. Le sentiment d’appartenance et la liberté d’être moi, les deux tours jumelles de ma relation à la France se sont effondrées le 20 septembre 2006 dans une supérette à Paris, sans que personne dans mon entourage n’ait eu conscience de la dévastation que causaient les mots meurtriers d’un journaliste insensé. Sur le ground zero de mes relations blessées à la nation dans laquelle je vis, peu à peu, du moins je l’espère, se lèveront d’autres bâtisses faites de réconciliation, de restauration, de tolérance, d’amour et de pardon.
Dans la période pré électorale qui s’annonce, pour avoir vécu d’autres élections, j’ai peur que le vide du débat désigne encore des personnes comme moi comme des boucs émissaires du mal être dans lequel de nombreuses personnes ne France se trouvent. D’autres mots, d’autres assertions intolérables sont venues ponctuer le débat en France et l’écriture est ma manière de résister pour que les mots guérissent les mots. Dans cette période pré-électorale, alors que les échéances approcheront, crains que les politiques relayés les médias se souviennent de nous, faciles boucs émissaires de leurs incompétences. Je cherche pas prévention un gilet pare-mots, mais ça n’existe pas.
Mais je pense à ceux qui, nombreux n’ont ni l’écriture, ni l’art pour faire sortir les nombreux poisons instillés par les mots. J’ai commencé à écrire pour vous raconter l’altérité la mienne au milieu de tout ça. Ces choses me reviennent et me font réfléchir. Je vous les livre telles qu’elles sont et sur le « ground zero » des dévastations antérieures, je suis résolue à reconstruire dans l’amour et non sur la colère.
Ce soir, j’ai voulu vous liver ce visage là de l’altérité qui essaie d’être roseau plutôt que chêne pour ne pas rompre même si souvent il doit plier, plier ses rêves, ses douleurs et ses colères. Il y a des jours où c’est plus difficiles que d’autres.
Merci à vous de m’avoir lue. Merci à vous qui participez à m’offrir un visage de cette nation, cette somme des paysages de vos âmes qui posent des briques nouvelles et magnifiques sur le « ground zero » de la reconstruction d’une relation blessée.
Ce soir j’ai juste eu envie de parler d’une chose que l’on pourrait ranger dans la rubrique états d’âmes, mais qui a marqué ma vie.
Je me souviens parfaitement du moment où j’ai entendu cette nouvelle, des mois après, je me souviens de ce que je faisais, ce que j’avais sous les yeux et où j’allais. Il est des événements qui laissent des marques indélébiles dans le cœur et les souvenirs.
Amitiés à vous fidèles lecteurs qui m’accompagnez dans mes déambulations intérieures.