Eloge de l’autre par Tahar Ben Jelloun

« Le dialogue véritable suppose la reconnaissance de l’autre à la fois dans son identité et dans son altérité »

(Proverbe Africain)

« Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente. »
(Antoine de Saint Exupéry)

 

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Je vous propose une incursion dans un texte magnifique de Tahar Ben Jelloun. J’aime la beauté de ses mots, la précision, la pudeur et l’élégance avec laquelle il raconte le funambule qu’est celui qui est loin de chez lui, exilé de l’intérieur loin des sensations propres à sa terre d’origine.
« L’étranger a toujours un ciel froissé au fond des yeux. » Où a t-il été cherché cette phrase sublime et bouleversante ?

L’altérité est richesse et douleur, elle est négociations permanentes avec son environnement pour demeurer constant dans le changement. Au cœur des discours qui parlent de lui envisageant son intégration et proposant sa désintégration pour être assimilé il se bat pour évoluer sans se perdre. On voudrait qu’il oublie la langue de ses pères, cette dernière est son repère, le lien avec lui même. C’est un ensemble de sons, c’est une musique particulière qu’il transfère quand il parle langue du pays qui l’accueille. Son accent, sa différence font sourire, il ne les entend pas toujours, quand il parle, sa voix et ses intonations lui sont une matrice. Il se trouve que parfois celui qui a souffert des violences de l’altérité est d’une rare férocité avec celui qui est différent. Nous sommes toujours l’étranger, l’autre de quelqu’un. Un texte comme celui qui suit nous fait vivre cet autre de l’intérieur et aller à sa rencontre et l’accueillir comme un frère.

 

ÉLOGE DE L’AUTRE

Celui qui marche d’un pas lent
Dans la rue de l’exil
C’est toi
C’est moi
Regarde-le bien,
Ce n’est qu’un homme

Qu’importe le temps,
la ressemblance,
le sourire au bout des larmes
L’étranger a toujours
Un ciel froissé au fond des yeux

Aucun arbre arraché
Ne donne l’ombre qu’il faut
Ni le fruit qu’on attend

La solitude n’est pas un métier
Ni un déjeuner sur l’herbe
Une coquetterie de bohémiens

Demander l’asile est une offense
Une blessure avalée
Avec l’espoir qu’un jour
On s’étonnera d’être heureux
Ici ou là-bas.

Tahar Ben Jelloun

 

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Merci à vous Monsieur Ben Jelloun d’avoir su mettre des mots sur cet état d’être propre à l’altérité.



Une congolaise s’immole par le feu au Luxembourg

Une congolaise s'immole par le feu au Luxembourg dans altérité

Toutes les nuances du gris semblent s’être donné rendez-vous dans ce ciel des Ardennes. Un chien vautré dans un champ humide surveille les corneilles perchées sur un fil barbelé. Il monte la garde devant le panneau retourné qui marque la frontière avec la Belgique. On accède à Oberwampach par une route étroite.

Le bourg ne compte qu’une centaine de maisons – grosses fermes d’antan et demeures à tourelles de nouveaux riches, blotties dans une vallée dont la quiétude n’avait plus été troublée depuis la bataille autour de Bastogne, la ville belge toute proche, en 1944. Au-dessus du village, les pales de trois éoliennes battent l’air.

 

 

Leur chuintement n’étouffe pas de pleurs : à Oberwampach, on ne pleure pas pour la famille Delvaux-Mufu Mpia.

 

 

Mardi 5 octobre, Maggy Mufu Mpia, une quadragénaire belgo-congolaise, mère de trois enfants, a troublé la vie paisible de sa patrie d’adoption. Elle s’est arrosée d’essence en plein cœur de la capitale, Luxembourg, avant de craquer une allumette.

 

 

Des photographes présents par hasard ont saisi l’image de la jeune femme en feu, hurlant sa douleur. Olivier Delvaux a tenté d’intervenir mais Maggy, transportée à Metz, est morte quelques jours plus tard. Elle voulait, affirmait-elle, dénoncer les tracasseries administratives dont sa famille était l’objet et le racisme dont ses enfants étaient les victimes.

 

 

A l’arrière de son garage Citroën d’Oberwampach, dans un bureau aux murs jaune et vert, M. Delvaux se prend la tête entre les mains. ‘Je me reproche de n’avoir pas vu son désespoir, mais j’aurais fait la même chose qu’elle. Aujourd’hui, je préférerais être mort, mais il y a mes trois enfants…’

 

 

Ce petit homme fluet, marqué pas la fatigue et la douleur, ne sait plus comment raconter son histoire. Sa voix puissante résonne et tonne, s’adoucissant seulement pour évoquer la visite que lui a rendue la Grande-Duchesse Maria Teresa. Il pense que beaucoup d’autres autorités de ce pays ont ‘tout fait pour le ruiner’ et conduire sa femme au désespoir.

 

 

 

PRÉTENDUE PSYCHOLOGUE

 

 

Le couple habitait Bruxelles avant que le mari, ingénieur, décroche un travail à Luxembourg, en 1997. L’installation se déroule sans souci particulier mais les enfants du couple connaissent leurs premières difficultés à l’école.

 

 

A Ettelbrück, un garçon se fait traiter de ‘sale Noir’ et on l’interroge sur l’étrange couleur de sa peau de métis. La petite fille est parfois ‘oubliée’ sur le bord de la route par le car de ramassage et, une autre fois, reste coincée dans la porte de sortie tandis que le chauffeur poursuit son chemin.

 

 

La maman s’insurge quand on veut placer ses enfants dans les classes les plus faibles, sous prétexte qu’ils parlent mal l’allemand, la deuxième langue du pays. ‘Un jour, une prétendue psychologue nous a lancé violemment : ‘Il est hors de question de donner plus de chance à votre fille qu’à un Luxembourgeois ! », raconte Olivier Delvaux. Sa femme finira par trouver un emploi de bibliothécaire mais se serait vite rendu compte que son salaire se situait sous le minimum légal.

 

 

Le couple décide alors de s’installer à son compte et de mobiliser ses économies par reprendre un garage, à Oberwampach. L’affaire compte quelques ouvriers, semble rentable et devrait permettre au mari de la transformer en un petit centre commercial. Il compte sur l’aide des banques et des pouvoirs publics, qui offrent des primes à l’installation. Mais les diverses autorisations requises se feront attendre. Olivier doit fermer le garage pendant plusieurs mois, perdant au passage la concession Citroën, reprise par un concurrent.

 

 

A plusieurs reprises, le couple tentera de faire fléchir l’administration. En vain, affirme M. Delvaux. C’est alors que sa femme, dépeinte comme tolérante et soucieuse d’équité, aurait mûri le projet d’une action d’éclat. Son mari affirme que, jusqu’au dernier moment, il a cru qu’elle voulait enflammer des couvertures devant un ministère.

 

 

Le 5 octobre, alors que la police avait été discrètement alertée mais attendait Maggy à un autre endroit de la ville, elle s’est immolée.

 

 

Voulait-elle vraiment mourir ? La police garde un doute et devait entendre M. Delvaux de nouveau, mardi 19 octobre. Soit la veille de l’enterrement de Maggy, qui a été retardé : il aura fallu des jours et des jours pour que les pompes funèbres disposent des documents nécessaires à l’inhumation.

 

 

Les autorités luxembourgeoises ont, entre-temps, lancé plusieurs enquêtes, judiciaire, scolaire et au ministère des classes moyennes. Un peu tard, sans doute. A Oberwampach, trois enfants n’aspirent plus qu’à fuir le ‘paisible’ Grand-Duché et préfèrent ne pas regarder les photos dans les journaux.

 

 

Jean-Pierre Stroobants/ Le Monde



Sommes nous tous racistes ?

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Bonjour vous,

En allant sur un blog ami j’ai trouvé un texte qui a retenu mon attention. C’est l’extrait d’un livre d’Albert Memmi Le point de vue de Albert Memmi vaut la peine d’être rencontré parce qu’il apporte des éclairages qui m’apparaissent pertinents. Dès que le mot « racisme » est laché dans toute la laideur et la violence de ce qu’il véhicule, des replis légitimes apparaissent. Il est impossible que l’on porte en soi les semences de ce qui du Rwanda au Moyen Orient en passant par l’Afrique du Sud de l’Apartheid, le Dixie américain ou les fonctionnements des Etats coloniaux ont avili les hommes et les ont maltraités au non d’une infériorisation pensée, conceptualisée de l’autre.

Memmi en forgeant le concept d’hétérophobie ouvre à une réflexion sur soi et sur la société qui vaut la peine à mon avis d’être creusée. Il me semble qu’une lecture ouverte peut nous aider à débusquer ce sur quoi l’on ne s’arrête pas et y travailler. On ne peut pas passer son temps à faire l’autruche ou à botter en touche (wow l’image footbalistique je m’épate moi même ! Zizou sors de ce corps !Sommes nous tous racistes ? dans altérité 03) sinon on aura du mal à poser les bons diagnostics sur nos propres modes de fonctionnement et sur ceux de nos sociétés dans lesquelles le rejet de l’autre sur la base d’une différence structure de plus en plus les rapports sociaux. Rejet sur une différence de peau,de croyance, de statut, de partique, de codes sociaux etc. Les rejets de l’autre intériorisés si tôt que nous ne nous interrogeons plus sur eux, et nous en restons prisonniers sauf si la grâce passe par là et encore faudrait-il la laisser faire son oeuvre (ou la philosophie pour les puristes de la sacralisation de la réflexion et de l’intellect. Je ne vais pas me mettre à dos les laïques la veille d’un dimanche Cool ). Si vous ouvrez les yeux vous verrez les autruches de la grâce leurs longs cous graciles dans le sable fin des déserts de leurs refus de réfléchir. Il y a comme un refus de sortir de l’argument refuge du « l’enfer c’est les autres » pour se regarder un petit peu.

Votre avis (de préférence un peu plus loquace que « intéressant »04 dans Faits de société) sur ce qui suit m’aidera à faire avancer ma réflexion sur le sujet et permettre à mon long cou gracile (oui oui long et gracile non mais ! Merci de garder pour vous vos réflexions discourtoises sur la circonférence de mon cou pftfffft ) de sortir ma tête magnifique au demeurant du sable de mes présupposés entêtés. 03 dans Le racisme parlons-en

Je vous laisse découvrir le texte sur le blog de Titophe http://colonisation.blogspot.com/2007/11/141-sommes-nous-tous-racistes.html et j’attends vous réflexions .

Bonne lecture et amitiés



Plus qu’une simple erreur de destination de la colère

Bonsoir à vous,

Je fais remonter un article qui date de novembre de l’année dernière. Presqu’un an déjà et l’actualité en France, en Allemagne et en Suisse notamment me donnent envie de questionner le racisme ou plutôt de nous questionner au regard de la tentation raciste. Bonne lecture et bonne soirée.

Amitiés

Malaïka

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« Les racistes sont des gens qui se trompent de colère… » disait Léopold Sedar Senghor.

Il me semble que ça va plus loin que le simple fait de se tromper de colère. Oh rassurez vous je n’entre pas dans un débat à postériori avec l’ancien président du Sénégal et ancien « immortel » de l’Académie Française. Je ne m’en sens pas la carrure et je n’en éprouve pas le désir. J’entrerai d’ailleurs d’autant moins en débat que je ne sais dans quel contexte la phrase a été prononcée. J’ai entendu dire il ya quelques temps que citer un texte hors de son contexte n’est qu’un prétexte. Je me contente de lire ou plutôt de transposer mon appréhension de cette affirmation dans le contexte de mon vécu d’humanoïde de début du 21ème siècle. Il me semble que cette vision réduit la responsabilité de celui ou de celle qui embrasse des positionnements et des thèses racistes et s’en sert comme d’une grille de lecture des rapports sociaux. L’histoire récente aux USA, en Afrique du Sud, en Afrique et ailleurs, les actions violentes racialement connotées (voire justifiées) en France et ailleurs nous mettent en garde. Dans le racisme, dans la xénophobie, dans le rejet et la stigmatisation de l’autre il y a bien plus qu’une « erreur de colère ». Il y a à mes yeux de l’ignorance parfois, de la bêtise souvent, de la peur de la différence quelquefois et aussi, même si ça agresse littéralement mes entrailles la définition de l’autre comme inférieur à soi, et de fait disqualifié juridiquement du droit à l’égalité d’accès aux différents services, avantages et biens auxquels n’importe quel quidam aurait accès. Il est des gens qui sont agressés à l’idée que quelqu’un, perçu comme inférieur à soi même s’ils n’osent pas le formuler publiquement occupe un poste ou une fonction qui le place hiérarchiquement au-dessus d’eux. Cette pensée manifestement absurde est pourtant là, tapie au cœur de bien des schémas de pensée. Simple erreur de colère ? Admettons. Colère contre qui ? Contre soi peut-être pour n’avoir pas su, voulu ou pu avoir un parcours scolaire, universitaire ou professionnel qui lui aurait donné le poste attribué à cet autre qu’on exècre ? Oui mais il est évident qu’il y a un codicille à cette colère : l’autre ! La colère, la vraie raison de la colère est la détestation de l’autre nourrie par des siècles d’infériorisation de celui qui est différent et qui renverse voire invalide par son nouveau positionnement hiérarchique les sentiments de supériorité qui ont nourri la structuration interne et l’appréhension des rapports sociaux telles qu’intégrées jusqu’alors. Effondrement de paradigmes.

Ce qui m’interroge dans cette affirmation de Senghor, c’est qu’elle pourrait être instrumentalisée pour servir d’excuse et pour légitimer des comportements absurdes et imbéciles. « Tu es raciste, tu rejettes l’autre sur sa différence l’incongruité de tes déambulations mentales mais quelle importance ? Ce n’est pas grave nous allons juste trouver les raisons de ta colère. » Heu… on va peut être se calmer là ! Apprenons à mettre les personnes face à la réalité de leurs analyses et de leurs prises de position sans euphémiser le sens et la portée de leurs attitudes. Si ma réponse au racisme d’un abruti est du racisme en retour en quoi serais-je moins abruti que lui ? A mon avis je le suis au moins autant.

Hé oui je suis un « abruti en retour », un raciste en retour, oui mais un raciste point final. pha185000004vignette.jpg picture by maddyspace

Devant mon miroir, mon visage est aussi hideux que celui des autres racistes, quelles que soient les raisons « apparentes » de mon racisme, elle est là, la bête immonde, tapie et prête à convertir en haine et en violence les rapports que j’ai aux autres, à ceux qui d’une manière ou d’une autre sont différents de moi. Aïe ! Me tromper de colère n’est plus la légitimation intellectuelle de mon positionnement stupide. Stupide moi ? Non mais !!! « Miroir, mon beau miroir dis-moi si je suis bête » Mais oui je suis bête pas simplement distrait dans le positionnement de mes colère. Je suis d’autant plus stupide que pris(e) dans mes paradigmes absurdes je me prive de l’enrichissement que m’apporterait celui qui est différent.

Le racisme va à mon avis plus loin qu’une simple erreur de destination de la colère. dv1460021vignette.jpg picture by maddyspace

Et quand l’on se défait de tous les prétextes qui masquent la réalité hideuse du racisme, alors on peut se mettre en chemin pour changer, pour laisser sortir le poison de la haine enfermé en soi.



Devenue l’autre

Bonsoir à vous,

Je vous partage un autre de mes textes écrits en septembre de l’an dernier, il est l’un des textes fondateurs de ce blog. Parce qu’il me tient à coeur j’ai eu envie de le remonter pour vous permettre de le découvrir. Je vous souhaite une bonne semaine.

Amitiés 

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Je devais être en 6ème quand un événement s’est produit à Douala, ma ville. Des gens de mon pays ont été rapatriés du Gabon. Ils étaient des étrangers là-bas, partis dans ce pays pour chercher un eldorado, une vie meilleure. Ils rêvaient de fortune, ils sont revenus humiliés et brisés.

Des familles entières étaient parquées à « la maison du parti » et nous avions sur eux un regard de curiosité. L’adulte que je suis revisite ce que l’enfant d’alors a vu et je peux imaginer la détresse de ces gens. Je peux imaginer l’humiliation du père de famille frappé sous les regards de son épouse et de ses enfants. La détresse de ceux qui devaient repartir à zéro dans leur pays qui n’était pas prêt à leur offrir l’équivalent de ce qu’ils avaient perdu.

Avec des camarades de classe nous allions devant « la maison du parti » et regardions ces gens parqués dans ce lieu. Avec du recul, je crois que nos yeux curieux étaient intrusifs pour ces personnes déjà traumatisées. Chassées d’un pays sous des regards de haine, accueillies dans le leur par des regards de curiosité. Ils n’étaient réellement les bienvenus nulle part, ils étaient les autres, même pour nous leurs compatriotes. Cette pensée me ramène dans le présent et je pense aux familles parquées dans un gymnase à Cachan sous l’oeil des caméras. Quelles conséquences à cette publicisation de la détresse ? J’ai conscience de l’instrumentalisation des caméras de part et d’autre mais je me demande si ce ne sont pas ceux dont la vie et la détresse sont déshabillées dans les journaux télévisés qui paieront le plus lourd tribut à cette médiatisation.

Au Gabon à cette époque le Camerounais était l’autre, cristallisant les raisons de la colère et de la xénophobie. A la même époque le Tchadien ou le Centrafricain étaient l’autre pour le Camerounais. Il était celui que l’on se croit autorisé à mépriser parce qu’il est venu chez nous chercher une vie meilleure manifestant par cet exil que notre pays est meilleur que le sien. De fait alors, nous valons mieux que lui. Alors avec condescendance on pouvait le regarder faire les petits boulots perçus comme indignes. En Côte d’Ivoire, c’était le Voltaïque comme on appelait alors le Burkinabé qui avait le triste privilège de cette sinistre altérité.

Chacun pouvait devenir l’autre à un moment de son histoire ou dans un espace géographique spécifique. Les regards traqués des traumatisés de la maison du parti racontaient qu’ils se savaient désormais « autre » au cœur même de leur pays d’origine.

L’altérité, porteuse de tant de fantasmes et de projections négatives. L’étranger, celui qu’on ne connaît pas, qu’on ne veut pas ou qu’on n’ose pas désirer connaître. Celui qu’on résume par le bruit, l’odeur, l’accent, et même par la cambrure ! Il faut l’avoir entendu pour le croire. L’autre nié dans son être à part, dans son droit à l’unicité et résumé dans une catégorisation absurde et imbécile. Avec quelle facilité rangeons-nous « l’autre » dans une case qui nous sécurise.

C’est bien connu « le français est… », « le camerounais est… », « le portugais », « le burkinabé », « le juif », « le blanc », « le noir », « l’arabe », « l’asiate » et que sais-je encore ? Tant que nous classons chaque individu dans les grandes catégories de nos xénophobies et de nos peurs de ce qui est différent, nous n’avons pas besoin de prendre le risque ou simplement la peine de découvrir l’autre dans sa vérité.

Quand j’étais en 6ème j’ai vu des personnes parquées dans un lieu, victimes d’une perversion de l’altérité. Aujourd’hui je vis en terre étrangère, et pour beaucoup je suis cette autre chargée de fantasmes détestables. Fantasmes qui sont attisés par des personnes bien souvent irresponsables dans des périodes à enjeux électoraux majeurs. Porter ces projections de l’autre peut être dévastateur si l’on ne sait pas qui l’on est. Savoir qui l’on est permet de demeurer soi au milieu de la violence de cette détestable altérité et de ne pas se laisser enfermer dans des définitions nées des présupposés de l’ignorance et de la bêtise.



Raser les murs et baisser les yeux

« Pendant que je dormais, pendant que je rêvais » comme disait George Moustaki (dans une chanson qui a accompagné mon enfance sur une terre lointaine) un débat sur une loi relative à l’immigration faisait rage en France. Débat réduit à la question justement controversée de l’irruption de l’ADN dans la question de l’immigration, en parfaite contradiction avec les lois sur la bioéthique et le droit famililial français.

Est-il possible que la question de l’immigration et de l’altérité soit tellement passionnelle qu’elle suscite des glissements imperceptibles que l’on jugerait intolérables dans d’autres domaines ? Glissements sémantiques, glissements conceptuels, glissements idéologiques, glissemments imperceptibles mais réels et porteurs de conséquences effrayantes.

La peur de de l’autre, la peur de l’invasion, la peur d’un péril identitaire savamment entretenu par certaines voix qui comptent dans le monde médiatico-politique font que l’on abdique la raison pour laisser régner la passion. Et voici que l’on ne se questionne pas sur les ondes de chocs provoquées par des séïsmes qui secouent les autres, ceux qui sont loin, ceux qui veulent venir en France. Mais le prochain bastion qui tombera sous la poussée de l’ADN opportunément instrumentalisé sera lequel ?

Le projet de loi a été sérieusement modifié. On ne regardera plus l’ADN du père, on regardera celui de la mère. Ouf l’honneur est sauf les pères n’apprendront pas leur infortune dans quelque service d’une ambassade du bout du monde, les enfants ne subiront pas des révélations dévastatrices pour leurs fondations de vie suite à une demande de visa. Les familles ne seront pas décomposées. L’honneur est sauf. Gros ouf de soulagement dans nos chaumières humanistes. Et tant pis pour les familles recomposées candidates au regroupement familial. Quand on veut regrouper sa famille on ne divorce pas d’abord. Un peu de cohérence diantre ! Et le veuvage ? Oh la la on ne va pas s’embarrasser de cas particuliers. Tant pis si les enfants du premier lit du père ne pourront venir en France. Ils n’avaient qu’à avoir l’ADN de belle-maman ! Et puis les enfants du premier lit de la mère pourront rejoindre les parents et de leurs bras tendres consoler beau papa qui vivra sans ses enfants biologiques. ADN quand tu nous tiens. Mais qui eu cette idée folle un jour d’inventer l’ADN ? Ahhhhh les mutations des visages de la famille… Mais ceci est anecdotique n’est-ce pas ?

J’ai entendu dire que la question de l’immixion de l’ADN dans le regroupement familial divisait les français. 47% seraient pour, 45 contre dans un équilibre presque parfait. Cet équilibre en dit long sur la complexité de la question. Et c’est une complexité que l’on ne peut nier, cellle de la question de l’immigration et de celle de son impact sur une nation.  J’ai entendu dimanche dernier un député de la majorité faire sur la question une pirouette dans la relecture du projet de loi qui aurait laissé béats d’admiration Rudolf Noureev ou Maurice Béjart et qui a pour le cas laissé pensive Laurence Ferrari sur Canal+.  Il a dit sans sourciller que cet amendement aveit pour but de faciliter le regroupement familial des familles françaises et il n’a pas d’autre but que celui là. Foi de lui ! 

Ces débats que j’écoute avec le cortège fantasmatique qui l’accompagne me donne envie de dire « et moi et moi et moi ».

Parce que les échos en moi me rappellent des moments d’un passé récent, il me prend l’envie d’exhumer quelques billets que j’ai écrit au tout début de ce blog, qui en sont les billets fondateurs. A l’époque les visiteurs étaient rares et ils vous auront échappé. Pendant quelques jours je vais les faire remonter juste pour vous offrir un autre regard sur l’altérité, un autre regard sur des questions qui me touchent à un niveau micro et macro. C’est un regard sans prétention, tout simplement le mien.

Amitiés à tous et bonne journée.

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Un débat, encore un sur la régularisation des sans papiers et un autre sur la délinquance et les jeunes issus de l’immigration. Encore un prétexte pour libérer la parole qui heurte la parole qui blesse, la parole qui viole la dignité, libérée sans entrave, elle ne se retient et diffuse librement sur les ondes la haine.

Puis il y a cette lettre du préfet de la Seine-Saint-Denis qui s’alarme de l’explosion de la violence dans un département de l’Ile de France. Seulement des raccourcis aux fondements idéologiques ouvrent la porte aux propos intenables. Le constat est terrible la violence explose et des jeunes de banlieue deviennent incontrôlables. Des agents de police interviennent sur les ondes, ils disent leur impuissance face à certaines dérives. Et soudain il y a cette femme qui est agent de police, et cette autre maman qui est institutrice elles parlent de « ces gens là » de ceux qui viennent d’ailleurs. Il y a cette ancienne championne française de ski dont les propos fracassent à mes yeux sa légende. La somme des « ces gens là » devient intolérable. Au fond de mes entrailles revient une sourde angoisse et cette immense douleur qui balaye la colère. Ca y est ce sont les autres « ces gens là » ceux comme moi, qui font mal à la France.
Tout à l’heure j’ai entendu parler des journalistes qui sur une radio importante disaient des choses qu’on s’interdisait alors. Ils ont pratiquement relié la criminalité à la race, disant qu’à niveau social égal les noirs et les arabes étaient plus délinquants que les blancs.
Etre étrangère en France aujourd’hui c’est être quasiment coupable d’exister. On est noir donc forcément assisté. Mangeant le pain des français et cumulant les allocations dans un foyer polygame dont les douze enfants ne trouvant pas de place dans le petit 2 pièces familial et s’abîment dans les cages d’escaliers, attendant le moment d’être logés en prison.

La France a mal à sa jeunesse, mal à son aveuglement mal à son incapacité à anticiper les problèmes sociaux. Qui pourrait nier la réalité de la violence qui gangrène les banlieues, qui pourrait nier le sentiment d’insécurité qui grandit quand on vit en ville ? Il ne me viendrait pas à l’idée de traîner dans certaines rues de l’Ile de France. Mais cette violence, cette stigmatisation, cette désignation, cette quasi dénonciation est insupportable. Les migrants ont mal à la France, à leur France. Boucs émissaires faciles des problèmes sociaux graves, ils cristallisent les peurs, les raisons de la colère.
D’une élection à l’autre la cible se précise, ce qui était sous entendu est publié sans réserve. Est-ce moi qui suis paranoïaque où alors y a-t-il comme un doigt pointé sur moi, et sur ceux qui me ressemblent ? Je ressens comme une chape de plomb posée sur mes avis, sur ma liberté de penser et de dire ce que je pense.
La France ou je l’aime ou je la quitte. Il se trouve que la France ça surprendra peut être mais je l’aime depuis toujours. Je ne peux pas dater le début de cette affection. Elle a dû m’attraper dans la petite enfance quand je la regardais par les yeux de ma mère. « La France de mon enfance » comme dirait un chanteur. Le cynisme des hommes a abîmé ma France. Je n’aurais pas le droit de dire qu’elle va mal ? Aimer ou quitter tel est le choix offert. Aimer ce serait voir les choses négatives et les déclarer positives ? Aimer serait-ce mentir à celui ou (celle) qu’on aime. Ou alors de voir celui que l’on aime tel qu’il est comme il est et oser lui parler en le regardant dans les yeux. La France qu’on me présente au moment où j’écris semble me demander de baisser les yeux quand elle s’adresse à moi. Elle semble me demander de me sentir heureuse d’avoir le droit de vivre sur son territoire. L’amour de l’étranger pour la France ne serait donc acceptable que s’il est résigné ? Résigné à n’avoir pas le droit de penser, résigné à n’être perçu que comme un mendiant qui a le privilège de vivre en France. D’un rendez-vous électoral à l’autre, une lèpre se pose sur ceux qui me ressemblent, ils deviennent la raison des douleurs de la France, et peu à peu on les voit comme ceux par qui les problèmes s’expliquent, voire arrivent. L’instrumentalisation de la peur de l’autre tapie en chacun de nous bâtit des murs de plus en plus en plus hauts, et le fossé se creuse entre les gens de France. Ai-je le droit de dire que j’ai peur de ce qui s’annonce ? Mais cette chape de plomb, au-dessus de ma tête ! Puis il y a cette phrase qui comme une ritournelle revient sans s’arrêter. La France te donne le choix : tu l’aimes ou tu la quittes ! Pourquoi ai-je l’impression que c’est elle qui me quitte ?

Paris le 20/09/06

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Savez-vous que ? Une histoire du racisme et de la xénophobie au quotidien

Savez-vous que l’autre jour en sortant de chez moi je me suis fait agresser verbalement par un homme qui a utilisé des mots abjects pour me signifier que je n’étais pas chez moi et que je devais par conséquent rentrer dans ce chez moi qu’il devinait hors d’ici à la couleur de ma peau ? L’homme n’avait ni l’excuse de l’extrême jeunesse ni celle qu’on prête à l’âge avancé qui déraisonne. C’était un homme jeune d’environ vingt-cinq ans qui n’a rien trouvé de mieux à faire qu’agresser verbalement une femme un matin. Propos outranciers et grossiers, déversement d’une haine plus grande que lui. Savez-vous qu’un jour en sortant du RER à la station Nation j’ai croisé une dame d’un certain âge qui faisait la manche. Je lui ai donné une pièce et il s’est produit une chose surréaliste. La femme s’est mise à m’insulter et à vociférer contre « la m… qu’avait ramenée le Général de Gaulle d’Afrique ». Elle me sommait avec haine de rentrer chez moi. Violence de mots sur un quai de gare. Histoire banale d’une personne dite « de couleur » (expression que soit dit en passant, j’exècre), face à la violence des mots. Histoire banale parce qu’elle se répète prenant des visages différents mais portant la même violence et les mêmes séismes. Histoire qui devient répétitive, qui se banalise dans les faits mais à laquelle je ne peux m’habituer.

 

 

Pour revenir à ce jeune homme et à cette dame d’un certain âge qui m’ont envoyé mon altérité pour l’un et mon africanité pour l’autre à la figure comme une insulte obscène. Ils se sont basés sur ma couleur de peau pour déduire que je n’étais pas d’ici. Tiens tiens !!! En se basant sur la couleur de peau d’une femme à Paris, un homme et une femme d’âges différents en on conclu qu’elle était d’ailleurs et devait y retourner. Aïe ! ça cache un présupposé effarant si l’on sait que l’être français n’est pas le fait d’avoir une couleur de peau.

 

 

Je peux décider de me cacher derrière la raison pour laisser derrière moi la dimension émotionnelle de l’offense mais je n’en ai pas envie parce que la banalisation de la parole raciste n’est pas qu’un fait divers lu dans la presse, rapidement dénoncé, le temps de remettre la tête dans le sable comme une autruche en se répétant « tout va bien, le racisme est marginal dans la société » au point de finir par y croire. Oui mais la vérité est qu’il n’est pas marginal, il l’est de moins en moins, des femmes et des hommes s’autorisant impunément la parole qui blesse, agresse et/ou humilie l’autre. Il se trouve que cette banalisation affecte le quotidien de plusieurs personnes. Moi je ne suis qu’un épiphénomène, une goutte d’eau dans l’océan de cette violence verbale qui parfois se transforme en actes.

 

 

Je me souviens que le jour où le charmant monsieur dont je parlais plus haut m’a agonie sa haine matinale, ma hantise était qu’il sache où j’habite (je n’étais qu’à quelques mètres de chez moi) et qu’il revienne convertir ses mots en violence physique. Le problème c’est que je ne suis pas capable de le reconnaître, je le croiserais que je ne le reconnaîtrais pas. Il était dans mon environnement de vie. Ce n’est pas rassurant. Je veux croire que je ne le croiserais plus.

 

Je ne peux pas brider les émotions que l’on ressent dans un tel cas et prétendre constamment atteindre des sommets de « zenitude ». La violence du racisme entraîne des déflagrations internes dans celui qui en est la victime.

 

Le racisme au quotidien c’est entendre un agent de la préfecture de police au service des étrangers me dire du temps où j’étais étudiante « pourquoi faire autant d’études puisque dans votre pays on peut être ministre avec le BEPC ». Le racisme au quotidien c’est de rester pétrifié devant cette femme qui se trouve drôle et qui pourtant ne l’est pas, et qui éclate de rires aidée de ses collègues dans un absolu sentiment d’impunité. Elle a le pouvoir, je mendie le droit de rester en France à ses yeux. Peu importe si j’ai tous les documents nécessaires eu renouvellement de mon titre de séjour, elle se sent en position de tenir des propos humiliants pour moi et pour mon pays. Le racisme au quotidien c’est ne pas pouvoir dire les mots qui me montent aux lèvres parce qu’elle a le pouvoir administratif de me pourrir la vie de différentes manières et a de fait développé la détestable mentalité de « petit chef » dont nous sommes tous un jour victimes à un moment où à un autre. Ca fait plus de quinze ans , et son visage ne m’a pas quittée. Le racisme au quotidien c’est sortir d’un service public avec ce sentiment d’humiliation et d’impuissance, c’est de ravaler sa colère et ses larmes éventuelles, de redresser la tête et de se dire que ça ne nous atteint pas. Le racisme au quotidien c’est n’avoir commis aucun délit et ne pas se sentir protégé quand la police déboule de peur d’être criminalisé par sa couleur. Les conséquences du racisme au quotidien c’est l’intériorisation de cette insécurité comme allant de soi. Les conséquences du racisme au quotidien c’est le sentiment qu’il faut raser les murs pour être toléré.

 

Le racisme au quotidien c’est d’entendre quelqu’un me dire « oui mais toi tu n’es pas comme les autres, tu n’as pas d’accent (j’en ai un désolée et je l’assume d’autant plus qu’il me raconte, il raconte mes origines et l’endroit où je vis, il est une synthèse de la personne que je suis avec ses voyages et son histoire), tu ne t’habilles pas comme eux. En un mot « toi au moins tu es une africaine acceptable ». Le pire c’est que ceux qui disent ces mots ne réalisent même pas que ce n’est pas un compliment, mais que c’est une offense absolue. Mon africanité n’est pas une tare, ni une injure n’en déplaise aux abrutis. Mon rêve secret n’a jamais été de m’en défaire, n’en déplaise aux sots.

 

Alors quand j’entends de certains hommes politiques et intellectuels irresponsables qui criminalisent à mots couverts les origines et la culture des autres je trouve ça de plus en plus insupportable. Je voudrais crier que derrière la figure de l’immigré, investi aujourd’hui à tort de la responsabilité de bien des problèmes de la nation, il y a des humains désécurisés au quotidien par la levée de tabous qui libèrent l’expression de la haine.

 

Derrière la figure de l’immigré « vorace et dangereux » pour le pays qui l’accueille il y a des personnes qui ont eu la faiblesse d’aimer un pays d’accueil et de vouloir construire une histoire commune avec lui. Derrière la figure du « profiteur » décliné sous toutes les formes dans les meetings politiques, il y a des individus qui ont une histoire autre que celle caricaturée par ces personnes aspirant aux plus hautes fonctions de l’Etat et qui sans gêne nous instrumentalisent pour être élus sans se soucier de l’humain derrière le mot tant galvaudé de l’immigration. Derrière cette figure, il y a moi et il y a d’autres qui vivent cette campagne électorale comme un doigt accusateur pointé sur eux comme cause de tous les maux qui prennent aux « ayant droit » travail et logement. Savez-vous que je me suis surprise à me sentir fautive d’avoir un travail ? A force de mots, à force de violence, voici un exemple de ce qui est semé dans un cœur d’humain derrière la figure de l’étranger prédateur. Les hommes politiques véhiculent sans vergogne ces images d’Epinal et monsieur et madame tout le monde fragilisé par la misère et la peur du lendemain ou nourri au biberon des thèses haineuses se sentent libres de tagger les murs d’un médecin dont la « faute » est d’être noir, d’insulter une personne qui vous fait l’offense de lui faire l’aumône alors qu’elle n’est que cette « m… ramenée d’Afrique par que général de Gaulle », ou de vomir sa haine matinale sur une femme qui sort de chez elle pour aller travailler.

 

J’en ai vécu des campagnes électorales en France, mais je ne vous cache pas que celle- ci m’est la plus intolérable. Pourtant il y a eu le 21 avril 2002. Il y a eu l’amalgame honteux et sournois entre immigration et insécurité. Le problème c’est que dans l’esprit de plusieurs aujourd’hui les deux mots se confondent comme une évidence criminalisant l’altérité. Jusques à quand ? Ils ont gagné les vecteurs de haine, mes regards se tournent vers un ailleurs parce et je sais qu’à terme, pour mon propre salut je partirai. Pourtant ce pays j’avais choisi d’y rester parce qu’il avait, et continue d’avoir un place particulière dans mon cœur. Tant pis pour une histoire d’amour apparemment à sens unique entre ce pays et moi. Tant pis pour les murs d’incommunicabilité érigés à coup de phrases et de bon mots par le monde politico médiatique. Je ne veux pas porter la figure du parasite, je refuse de l’intégrer. Partir pour ne pas périr, ou au moins rêver d’un ailleurs pour ne pas être détruit et se dire qu’une autre vie reste possible. Dérisoire refuge de l’altérité.

 

C’est le coup de gueule d’une personne sans voix et sans visage et qui n’a aucun poids ni aucune importance dans les enjeux du moment, mais qui existe, oh oui qui existe derrière le fantasme et les généralisations absurdes et imbéciles.

 

Paris le 31 mars 2007

 



Larmes d’altérité…

larmesdefemme.jpg

Je me souviens du temps où j’ai commencé à écrire et à rendre publics les chemins de mes pensées. J’avais reçu comme une déflagration une accumulation de propos globalisants qui donnaient à penser que le criminalisation de l’altérité devenait un propos acceptable. Je ne saurais vous raconter les séismes internes et je les ai mentionné dans ce qui finalement est le billet fondateur du blog. Recevant les mots comme des obus, j’ai écrit pour rester en vie sans laisser la colère, la blessure ou la haine me séparer de moi. J’ai écrit pour sortir de l’enfermement dans lequel pouvaient me mettre la douleur (intime) et le rejet (extime  je néologise bien entendu  à dessein. On ne se refait pas n’est-ce pas ?)

 http://dipitadidia.unblog.fr/2006/09/22/raser-les-murs-et-baisser-les-yeux/.

Puis j’ai choisi de venir à la rencontre de ceux qui voudraient bien me rencontrer et ce blog est né, pour laisser passer ma voix pour qu’elle arrive jusqu’à vous et pourquoi pas vous rencontrer. http://dipitadidia.unblog.fr/2006/09/22/pourquoi-ce-blog/.

Le temps m’a semblé long pour arriver jusqu’à vous et aujourd’hui des noms familiers passent sur le blog et nous établissons au fil du temps un échange fructueux qui me comble d’aise parce que, cette altérité qui est la mienne est accueillie et respectée tout comme j’accueille et respecte celle de chacun(e) de vous. Comme je l’ai déjà dit sur ce blog, j’ai rencontré des âmes aux paysages magnifiques. Je voudrais remercier ceux et celles qui fidèlement passent ici apportant une pensée amicale, une réflexion, une touche d’amitié. C’est inespéré et précieux. Merci. 

Mais ce soir mes amis j’ai le cœur un peu gros et lourd de tristesse. Je pourrais garder ça pour moi, mais le pari de ce blog était aussi de vous raconter le vécu de mon altérité dans ses joies et dans ses douleurs aussi. Ce soir c’est la deuxième facette de la médaille… C’est le prix à payer parfois quand l’on n’est pas chez soi, quand on n’a pas la protection (illusoire peut-être) de l’assurance d’être à sa place. Quand on n’a pas le sentiment, dans les temps difficiles que le sol sous nos pieds nous parle d’appartenance, d’enracinement et que l’on entend une fois encore (une fois de trop ?) des mots qui ouvrent à la douleur. Hier peut-être n’y aurais-je pas été attentive. Hier peut-être mon armure invisible était elle en place ? Peut-être aussi qu’elle s’est progressivement usée à mon insu cette armure invisible qui est faite entre autre de la foi dans le fait que les hommes sont faits pour vivre ensemble et que de toutes façons nous n’avons pas le choix. Peut-être ai-je oublié mon armure mais je suis un peu lasse. Lasse de prendre sur moi et de mettre toute mon énergie à résister à la colère, et à tous ces sentiments que je ne veux pas laisser germer en moi tandis que d’autres sans retenue libèrent des mots, des actes et des présupposés aux traces indélébiles qui peuvent abîmer l’âme même la mieux disposée. 

Triste privilège de cette altérité qui répond en blessure à ces mots qui font rire certains. Triste privilège de cette altérité qui entend les « assassins par les mots » se cacher derrière une formule, de l’humour ou une figure stylistique. Il paraît qu’on peut rire de tout. Je ne suis pas de cet avis. Je préfère ne pas rire. Je préfère ne pas avoir l’exclusivité d’un bon mot si le prix à payer pour l’autre est la douleur, l’humiliation ou la blessure, comme si l’autre n’existait pas en tant qu’être digne de respect mais juste comme un instrument au service de mon humour. Puissé-je ne jamais m’abaisser à ça. Non jamais. Je ne veux pas être cette personne là. Je ne ris pas. 

Mon billet se fait un sinistre ce soir ? Je sais pourvoir vous livrer ici un moment de blues qui fait partie de mon cheminement. Il y a des jours où être l’autre est dur. Etre moi ça va, mais être cet autre investie de fantasmes insupportables et avoir le sentiment de devoir accepter la situation comme un « donné » irrévocable cela m’est ce soir absolument insupportable. Le temps de retrouver mon armure ou d’en colmater les brèches puis remettre en place mon sourire et mon espérance, je voulais juste vous dire que ça aussi, ça fait partie du cheminement de ceux qui me ressemblent. Et que parfois se lève une lassitude. 

Le but de ce billet n’est autre que celui d’inviter votre regard dans cette facette aussi, dans cette difficulté subtile mais réelle.

Amitiés à tous et très bonne soirée à tous et merci de m’avoir lue. 



Les mots comme des obus meurtriers

Consternation et douleur

Je me souviens comme beaucoup du moment où, le 11 septembre 2001 j’ai entendu parler de la catastrophe qui avait frappé New York au cœur. Combien de nous se souviennent de ce moment, comme d’un moment qui a changé la vision du monde. La plus grande puissance du monde, celle dont les services secrets ont inspiré des films au réalisme discutable, cette hyper puissance livrait aux yeux du monde ses enfants bouleversés, terrorisés par l’horreur qui était arrivée jusqu’à eux, et courant avec effroi ça et là dans New York pour fuir l’horreur qui venait de frapper.

Je me souviens parfaitement de l’endroit où je me trouvais et de ce que je faisais au moment où j’ai appris la nouvelle. Je me souviens de l’endroit où j’allais quand j’ai entendu parler de ce terrible événement. Ma première réaction a été de pleurer. Je pleurais dans la rue, pas à chaudes larmes certes, mais mes yeux ne pouvaient retenir derrière mes paupières les larmes qui montaient à mes yeux à la pensée de toutes ces vies dévastées, à la pensées des personnes qui aimaient ceux qui sont morts. Quand j’entends parler des catastrophes qui provoquent des décès en grand nombre, je me refuse à laisser le chiffre me voiler les individualités touchées par la catastrophes et les déflagrations émotionnelles que la mort brutale de ces homme, femmes et enfants causent dans les vies de personnes dont on ne verra pas le village. Je ne me suis pas jointe à la vindicte, aux flots de haine et aux propos extrémistes qu’on légitimait par le choc des attentats. Les ondes de chocs de ce séisme ébranlent encore une terre là bas, loin de l’Amérique, du côté d’un Irak dont la reconstruction ne semble pas à l’ordre du jour. Mais ceci n’est pas mon propos et voici que pour change je digresse. Je dois vous confier que je suis atteinte de « digressite aigue. Encore un mal incurable les amis et vous n’êtes pas au bout de vos découvertes. Rire

Pour reprendre le fil de mes idées en espérant ne vous avoir pas perdus en route, je disais que le 11 septembre a fait couler mes larmes parce que je sais les douleurs de l’absence, de l’amputation brutale d’un être aimé, happé par une mort aussi inattendue que violente. Je connais l’incompréhension. Je connais les réveils l’oreiller baigné de larmes que l’on ne savait pas avoir versées. Larmes d’empathie et larmes dues à la prise de conscience que quelque chose s’est brisé. Conscience qu’un palier de plus a été franchi dans l’horrible crescendo de la violence que l’on a vu depuis le Libéria au Rwanda, en passant par la Bosnie et le Liban. Les logiques de guerre et de violence sont de plus en plus illisibles et voici qu’une après-midi, du côté de la Plaine Saint-Denis, je suis saisie d’effroi à la nouvelle que deux avions pilotés par des hommes que la haine et le fanatisme avaient transformés en armes de destruction massive (si je peux me permettre d’utiliser un concept galvaudé plus tard par un mensonge d’Etat pour légitimer un massacre qui voit aujourd’hui mourir autour de cent irakiens par jour, sans compter les soldats américains), ces hommes devenus de véritables bombes humaines au service de la haine et de la destruction. Les tours jumelles se sont effondrées et symboliquement s’est effondrée avec elles une certaine idée du monde. Comment ne pas pleurer ? Vous trouvez que je pleure beaucoup ? Mais les larmes, au pire elles nettoient les yeux ! J’ai donc tout à y gagner non ? Clin doeil

Je me souviens parfaitement du moment où j’ai entendu cette nouvelle, six ans après, ce que je faisais et où j’allais. Il est des événements qui laissent des marques indélébiles dans le cœur et les souvenirs.

Consternation, douleur et morcellement intérieur :

Le 20 septembre 2006, comme d’habitude, j’écoutais la radio en rentrant du boulot. Je travaillais alors au cœur de Paris. En rentrant ce soir là, je me suis arrêtée dans une supérette pas loin de chez moi. J’écoutais en même temps débattre des journalistes sur l’actualité immédiate. J’écoutais avec intérêt parce que ces débats, de même que les appels d’auditeurs m’aident à sentir l’humeur de la nation. C’était une période tendue et le monde médiatico politique redoublait d’irresponsabilité, pointant du doigt certaines catégories de la population, les diabolisant, en suggérant à mots couvert des choses indicibles. C’est alors que, attendant mon tour à la caisse, j’ai entendu un propos que je n’aurais jamais imaginé entendre. Il s’est alors passé une chose qui m’a profondément ébranlée, et qui est d’ailleurs l’élément, le moment fondateur de ce blog. Ecrire pour na pas se laisser détruire. Pour beaucoup c’était un non événement, ce n’étaient peut-être que des mots prononcés dans le feu de l’action et à la légère par un journaliste irresponsable. J’ai entendu un journaliste dire « à niveau social égal,les noirs et les arabes sont plus criminels que les blancs ». Exactement comme le 11 septembre 2001, quelque chose a explosé, mais cette fois-ci l’explosion s’est faite en moi, avec violence. J’étais au-delà de la consternation, de la révolte, je suis entrée en douleur. Un tabou venait de sauter et un journaliste qui n’avait même pas l’excuse d’écrire pour un journal d’extrême droite a affirmé cette chose abominable, criminalisant ma race et celle d’autres humains, au mépris du respect le plus élémentaire, comme si ses propos seraient necéssairement sans conséquences. Et si ceux dont on parle avec légereté sont meurtris pas les mots assassins quelle importance ? Ce n’était pas une personne manquant d’instruction, c’était un homme instruit et nanti d’un sens de l’analyse. Et ses analyses l’ont conduit à livrer ce propos abject. Je me souviens parfaitement de ce moment. Je crains de ne jamais l’oublier.

Je sais exactement qui j’avais en face de moi, d’où je venais, où j’allais. Quelque chose s’est fracassé et j’ai entendu se briser quelque chose en moi, un son qui ressemble à l’espoir qui se brise. Viol public de ma dignité d’être par des mots d’un homme, d’un journaliste. C’est un moment qui a consacré une étrangeté qui m’explosait à la figure, à la caisse d’un magasin et en même temps dans une sorte d’irréalité, transportée en émotion au delà de l’insupportable. Le moment a été terrible et rentrée chez moi j’ai écrit dans l’urgence pour laisser sortir ce terrible mal qui s’était insinué en moi, pour me laver de cette agression, pour comprendre ce qui se passait et y réfléchir, pour prendre autant que possible une distance salutaire avec ce qui venait d’être dit et de se passer en moi. Il se trouve qu’en moi aussi, des tours jumelles se sont effondrées. Les tours jumelles internes, les deux choses fortes qui fondaient ma relation à la nation :

  • Le sentiment d’appartenance à la nation dans laquelle je vivais qui s’était construit en y vivant et en m’y attachant,

  • Et la liberté d’être moi en y vivant : avoir le droit de la vivre, de la regarder et de dire franchement ce que je pensais d’elle, ce droit découlant du point qui précède.

Et ces mots là, au milieu du brouhaha ambiant ont fait exploser ces tours jumelles en moi sans que personne d’autre que moi n’en soit conscient.

Depuis des années pourtant, au gré des périodes électorales, des mots qui blessent étaient venus rencontrer mes émotions et mes indignations, entre le bruit, l’odeur, et le reste. pourtant j’avais résisté. Mais là, quelque chose s’est passé qui a brisé ma résistance. Comme les tours jumelles presque cinq ans plus tôt jour pour jour, les deux axes de ma relation à la nation se sont effondrés sous les mots d’une incroyables violence pilotés comme des obus par la bêtise, l’irresponsabilité, le sentiment d’impunité ou le mépris de cet homme là. Sans que je m’en rende compte, il tombé comme un bâillon sur mes libertés d’être et de dire. Comme à « ground zero » dans la lointaine New York, il ne restait plus que des cendres de ce que j’avais construit des années durant. Tout était à reconstruire. Le sentiment d’appartenance et la liberté d’être moi, les deux tours jumelles de ma relation à la France se sont effondrées le 20 septembre 2006 dans une supérette à Paris, sans que personne dans mon entourage n’ait eu conscience de la dévastation que causaient les mots meurtriers d’un journaliste insensé. Sur le ground zero de mes relations blessées à la nation dans laquelle je vis, peu à peu, du moins je l’espère, se lèveront d’autres bâtisses faites de réconciliation, de restauration, de tolérance, d’amour et de pardon.

Dans la période pré électorale qui s’annonce, pour avoir vécu d’autres élections, j’ai peur que le vide du débat désigne encore des personnes comme moi comme des boucs émissaires du mal être dans lequel de nombreuses personnes ne France se trouvent. D’autres mots, d’autres assertions intolérables sont venues ponctuer le débat en France et l’écriture est ma manière de résister pour que les mots guérissent les mots. Dans cette période pré-électorale, alors que les échéances approcheront, crains que les politiques relayés les médias se souviennent de nous, faciles boucs émissaires de leurs incompétences. Je cherche pas prévention un gilet pare-mots, mais ça n’existe pas.

Mais je pense à ceux qui, nombreux n’ont ni l’écriture, ni l’art pour faire sortir les nombreux poisons instillés par les mots. J’ai commencé à écrire pour vous raconter l’altérité la mienne au milieu de tout ça. Ces choses me reviennent et me font réfléchir. Je vous les livre telles qu’elles sont et sur le « ground zero » des dévastations antérieures, je suis résolue à reconstruire dans l’amour et non sur la colère.

Ce soir, j’ai voulu vous liver ce visage là de l’altérité qui essaie d’être roseau plutôt que chêne pour ne pas rompre même si souvent il doit plier, plier ses rêves, ses douleurs et ses colères. Il y a des jours où c’est plus difficiles que d’autres.

Merci à vous de m’avoir lue. Merci à vous qui participez à m’offrir un visage de cette nation, cette somme des paysages de vos âmes qui posent des briques nouvelles et magnifiques sur le « ground zero » de la reconstruction d’une relation blessée.

Ce soir j’ai juste eu envie de parler d’une chose que l’on pourrait ranger dans la rubrique états d’âmes, mais qui a marqué ma vie.

Je me souviens parfaitement du moment où j’ai entendu cette nouvelle, des mois après, je me souviens de ce que je faisais, ce que j’avais sous les yeux et où j’allais. Il est des événements qui laissent des marques indélébiles dans le cœur et les souvenirs.

Amitiés à vous fidèles lecteurs qui m’accompagnez dans mes déambulations intérieures.



Un cri dans le désert ?

Hier, au travers d’échanges avec Jacqueline, Catz et Helran j’ai eu envie de dédier cet espace à ceux qui voudraient ce joindre à nous pour pousser un cri pour l’amitité entre les peuples et contre toutes les formes d’intolérance. Nous nous disions hier que c’était peut être un cri dans le désert. Mais je continue à croire que même quand on crie dans le désert  quelqu’un peut passer par là et prendre avec lui le message que l’on cri, le cri que l’on pousse pour le porter plus loin. C’est naïf, c’est idiot peut être, mais si quelqu’un veut-il juste que l’on se passe le témoin comme dans une course de relais pour libérer son cri ?

Moi je crie que l’amitié entre les races est possible. Je crie que le respect entre les races est possible. Je pousse un cri contre la xénophobie, le racisme, l’ntolérance.  Je propose que nous fassions de l’espace commentaire un passage de relais pour une course pour la tolérance, le respect et l’amitié. Je passe le témoin qui veut bien le saisir ?

Je mets cette chanson qui peut sembler naïve, elle n’est pas un chef d’oeuvre loin s’en faut, mais elle donne un support musical à ce rêve, à ce cri. Amitiés à tous.

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