Aimé Césaire au Panthéon. Et après ? 9 avril
Ce 6 avril, l’on fait entrer Aimé Césaire au Panthéon. Il paraît que dans la république française c’est l’un des plus grands honneurs que l’on peut rendre à une personnalité importante. On est semble t-il loin des tractations au principe d’une légion d’honneur désormais galvaudée pour cause de copinage excessif.A priori Christian Clavier, Mireille Matthieu ou Didier Barbelivien ne devraient pas troubler le repos des illustres figures qui reposent au panthéon. Ceci dit sait-on jamais ? Prudent Aimé Césaire n’a pas souhaité être arraché de sa terre Martinique pour s’exiler définitivement en métropole, fut-ce par la dépouille.
Bref reconnaître l’immense apport du « nègre fondamental » au patrimoine littéraire, culturel, politique, humain et plus encore à celui des définitions de l’humanité va de soi. Celui qui à 17h a fait un discours hommage l’a t-il jamais lu ? Le doute en moi est entêté. La biographie ânonnée par le chef de l’Etat donne à penser que le souffle qui animait le poète ne l’a pas touché. Un homme peut-il lire Césaire réellement, profondément sans que son humanité et son rapport à l’autre s’en trouvent modifiés ? Peut on avoir lu Césaire et véhiculer insidieusement dans la nation des semences de division et d’infériorisation latente de l’autre ? Peut-on avoir lu cet homme et envisager des identités strapontin pour les français issus de l’immigration ? J’en doute.
En citant les extraits du discours sur le colonialisme Nicolas Sarkozy était il pris dans une dissociation de soi, dans cette forme de schizophrénie propre à la France qui d’un côté exporte à grands cris des valeurs telles que la déclaration universelle des droits de l’homme et qui de la bouche d’un ancien président peut cyniquement affirmer en parlant du Rwanda qu’un génocide en Afrique n’est pas bien grave ? Le président entendait-il ce qu’il lisait ?
Aimé Césaire à mon humble avis méritait mieux que le discours sans vie, sans grâce et ponctué de mots sur lesquels la langue présidentielle n’a cessé d’achopper. Absence de conviction quand tu nous tiens…
La mise au Panthéon de Césaire ne saurait être un enfermement de sa pensée, de son verbe de sa liberté pour n’en laisser qu’un ersatz, une coquille vide qui servirait d’alibi à des politiques de gauche comme de droite incapables de repenser leur rapport au monde, à l’autre et à l’outre-mer.
Il n’est pas anodin que les télévisions hexagonales aient montré de Césaire à l’envi l’image d’un entretien aux apparences suranné avec Nicolas Sarkozy, ce dernier hochant la tête le regard perdu au loin, comme si la photo avec celui qui auparavant avait refusé de le recevoir avait davantage d’importance que l’échange avec cet homme essentiel, celui dont le verbe ouvrait à la liberté, à la dignité, cet homme rebelle à toute forme d’asservissement.
Celui que l’on a célébré ce jour à juste titre est irrécupérable, il n’est pas possible de l’enfermer dans un lieu glorieux qui serait un cimetière pour la vie de son verbe. Je revois l’oeil amusé avec lequel il regardait défiler les politiques hexagonaux en voyage en Martinique qui voulaient une photo avec lui comme d’autre voudraient toucher le crâne de la statue de quelque figure religieuse. Ils en faisaient un grigri électoral passant à côté d’un homme essentiel au crépuscule de sa vie, inconscients du fait que désormais sa parole était d’or.
Ne faisons pas assaut de naïveté en pensant que cet honneur fait au grand homme est dépourvu de toute arrière pensée politique. Entendre Jean-François Copé louer son amitié avec Aimé Césaire et faire le grand écart entre la vision de cet homme et son pitoyable débat (déballage) sur l’islam et la laïcité était un moment ubuesque. J’en aurais avalé mon dentier si j’en avais eu un !
Enfermer cet homme (encore que sa dépouille demeure en Martinique ouf !) au Panthéon sans libérer son œuvre et lui donner les moyens d’arriver aux jeunes consciences que l’on forme dans les écoles de la république serait une escroquerie intellectuelle. L’éducation nationale est attendue au tournant de la réalité des convictions concernant la figure de Césaire.
Son discours sur le colonialisme est un texte essentiel que bien des politiques gagneraient à lire pour sortir de visions du monde datées et stupides. Césaire de son vivant était libre, la mort ne l’aura pas rendu captif.
Il nous appartient de le laisser voler encore et toujours comme l’aigle majestueux de la pensée qu’il aura été. Il nous appartient de nous laisser rencontrer et défier par le visionnaire qu’il demeure.
Lisons et faisons lire Césaire, la transmission de son patrimoine est plus glorieuse que tous les panthéons dans lesquels on fige les êtres et les transforme en poupées de cire de la pensée ou de l’histoire. Exposons nos filles et nos fils à la pensée de Césaire. Ceci n’est qu’un avis et je vous promets que je ne le dis pas parce que je ne risque pas d’entrer au dit Panthéon (^_^).