En écoutant Francis Bebey…

Avez-vous déjà eu durant des jours une mélodie dans la tête ? Vous savez un de ces airs qui vous accompagnent comme le ferait un lecteur de musique portable ?  Ces derniers temps à des moments inattendus, cette phrase « o bia nja o ma kwalisane no, o bia nja o bale no esoka » tirée d’une chanson de Francis Bebey ne me quittait pas. 

Il était bien onze heures hier du soir quand la mélodie est venue discrètement frapper aux portes de mon cœur. Comment aurais-je pu refuser l’hospitalité à une telle visiteuse ? Francis Bebey, musicien, poète, musicologue, génial défricheur de son et passeur de sens ironique et tendre, Francis Bebey venait me voir, précédé par quelques notes de musique. Les morts ne sont pas morts, les artistes encore moins. Ils laissent en partant davantage qu’un héritage ils laissent leur voix, leur émotion, les accents de leur âme.

 

Répondant à l’inclination de mon cœur j’ai écouté « O bia » chanson remplie d’enseignements sur la prudence. O bia, que je traduirais du Duala par « sois, prudent » ou « fais attention ». Dans cette chanson au cours de laquelle Francis Bebey égrenne de nombreux conseils de prudence « fais attention aux personnes avec lesquelles tu marches, aux maisons dans lesquelles tu entres, fais attention à ceux à qui tu parles et confie des secrets. » « Ne prête à personne l’intime de ta pensée la plus précieuse, ne prête à personne ta parole ».

 

En filigrane, l’ombre de son frère assassiné Bebey Eyidi.

 

Comme à mon habitude quand une chanson me rencontre je ne sais pas ne pas la réécouter un nombre incalculable de fois. J’ai été saisie par le beauté de la mélodie, par le guitariste qu’était Francis Bebey et que j’apprends à écouter. Il n’est pas besoin de multiplier des effets prétendument épatants pour éblouir.

 

Il était plus de minuit et je n’arrivais plus à quitter mister Francis. Ecoutant ensuite « Idiba », j’ai passé un moment merveilleux. La chanson semblait receler des tiroirs que je n’avais pas ouverts avant et ouvrir pour ma pensée d’intéressantes fenêtres. La musique est dialogue.

« Le jour s’est levé et le soleil est là, ne cache plus ton visage, ne le fronce pas, mais regarde autour de toi. Quand tu marches dans la rue, fais le comme un homme et non comme si tu étais sans substance. Viens et allons voir la lumière, n’oublie jamais que tu as reçu bénédiction sur bénédiction. Qui d’autre a jamais été béni comme toi ? »

 

Ouverture de fenêtres intérieures comme si Francis me parlait, parlait de moi. Comme s’il me rappelait à mes essentiels, à mon essentiel.

 

Ouvertures de fenêtres plus grandes comme s’il parlait aussi à l’Afrique telle que je la vis, la vois, la rêve en lui disant  « Viens allons vers la lumière de peur de manquer la bénédiction ».

 

Francis Bebey, la classe, la musicalité, la finesse. Il a toujours été là dans la toile de fond de ma vie musicale. Il était dans la discothèque de mes parents. Je l’ai écouté enfant je l’entends adulte et suis heureuse qu’il ait existé, heureuse qu’il ait chanté dans une langue que je comprends. Je l’aime.

 

Hier je m’apprêtais à me coucher quand sa musique et moi sommes entrés en conversation. Il est difficile d’exprimer au cœur de mes soudaines indigences sémantiques, le bonheur, l’émotion, les découvertes et les pistes de réflexions suscitées par les notes de musique, la voix, et les paroles de cet homme parti trop vite.

 

En me souvenant en cet instant de ce moment, je me rends compte du privilège que j’ai d’être africaine, d’être Camerounaise, d’avoir accès à ceci. Je mesure aussi que parce que la mondialisation est par trop arrogante les occidentaux se privent de bien des trésors culturels.

 

Si seulement le monde était davantage ouvert pour une mondialisation intelligente ! Oh non pas celle qui permet aux riches de s’enrichir d’avantage en pillant les autres et en privatisant pour leurs intérêts les sols d’Afrique ou d’ailleurs. Pas celle qui ne sert qu’à imposer un modèle culturel dominant et annihiler les variétés culturelles qui sont le sel de l’être ensemble. Pas celle qui imposerait le hamburger aux beignets et haricots mais celle sui laisserait cohabiter les deux. Une mondialisation qui serait circulation des biens culturels en recevant dans le respect de ce que l’autre apporterait.

 

Francis Bebey a beaucoup apporté. Il a vécu, travaillé et élevé ses enfants en France. La France a-t-elle écouté ou entendu ce qu’il avait à dire ? Il était bien plus qu’un saltimbanque exotique, c’était un homme brillant, cultivé, curieux des sons et cultures du monde qui a su inviter le monde dans ses mélodies. Il nous laisse heureusement un héritage que nous pouvons découvrir.

 

Francis Bebey savait l’importance de transmettre aux enfants leur langue maternelle. Une anecdote savoureuse que m’a racontée hier une amie précieuse  qui par ailleurs est chanteuse m’a confortée dans le fait qu’il est décidément passé un homme immense.

 

Parce que l’humain est plus grand que son passage sur terre et les limites de sa peau, il parle encore. Permettons lui par sa musique de parler aux générations d’après.

 

Pour le découvrir un peu plus : http://www.bebey.com/francis_bebey/francis_bebey_accueil.htm

http://etudesafricaines.revues.org/index1511.html

 

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