La dernière lettre de Patrice Lumumba

lumumba.jpgA la confluence des cultures, il est des choses qui font que d’Afrique, d’occident ou d’ailleurs, des choses nous sont communes. L’une d’elle est l’importance immense que l’on donne aux derniers mots d’une personne qui meurt. Cette importance est magnifiée, amplifiée par la conscience de sa probable mort prochaine que l’on prête à celui qui est mort. En cela ses mots deviennent testament et une lettre privée devient patrimoine commun à ceux qui sont dans le cours de l’histoire. La dernière lettre connue de Patrice Lumumba à son épouse Pauline vaut la lecture parce que l’homme privé se confond avec le combattant, invite son épouse dans cet absolu pour lequel il va donner sa vie. Cet absolu pour lequel on va lui prendre la vie avec violence, l’assassiner. Patrice Lumumba est de ces hommes dont le passage et la mémoire sont des lueurs sur bien des parcours de vie et, dans mon panthéon personnel il a une de ces places que choix qui attise mes panafricanismes et mes passions d’Afrique.

 

Comme il est utile de puiser aux sources de ces vies des inspirations pour aller de l’avant et construire. Parce que les mots de Patrice Lumumba revêtent à postériori une dimension testamentaire leur force et leur résonance est d’autant plus grande et l’on se surprend à admirer celui qui a érigé en valeur absolue l’indépendance, la dignité et la liberté de son pays au point de les faire primer sur sa vie. Hommage respectueux à la mémoire et à la vie de celui qui demeure pour moi un exemple, un modèle, une inspiration. Il est une Afrique autre que celle véhiculée par des satrapes qui ont dans un intérêt commun avec ceux de leurs complices à donner de notre terre une image de continent désespéré, dépendant par essence et mendiant pour survivre. De la terre d’Afrique une voix a résonné en son temps pour dire :

« Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. »

Merci Patrice Lumumba pour l’exemple.

Bonne lecture à tous, inspirons et laissons-nous inspirer par ces vies et ces voix qui nous rappellent que notre futur ne se dessine pas dans une échine constamment courbée. Des vies qui nous rappellent que les fatalismes de nos désespérances peuvent laisser la place à des têtes levées qui embrassent à nouveau des rêves et des destinées d’Afrique. Il est une autre Afrique à bâtir, à réinventer, à redécouvrir, à rencontrer à réveiller. Une Afrique mise en sommeil par une histoire à assumer et à dépasser. Nkosi Sikeleli Afrika. Que Dieu bénisse l’Afrique

___________________________________

Ma compagne chérie,

 

Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu.

 

Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai je dire d’autre ?

 

Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.

 

Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.

 

A mes enfants que je laisse et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau.

 

Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.

 

Vive le Congo ! Vive l’Afrique !

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Patrice Lumumba



6 commentaires

  1. Chris. 6 avril

    Un très bel exemple de courage et de sacrifice (bien rare) que cette lettre.
    - Christian

    Merci Christian. Cet homme avait en effet un immense courage comme peu d’hommes en effet et comme d’autres anonymes mais grâce auxquels nous avançons peu à peu vers la liberté ici et ailleurs.

  2. michelotte 9 avril

    bonjour mon écrivain préféré : comment vas-tu ? je suis de retour chez moi mais pas pour longtemps car nous nous préparons pour un autre voyage dans le Perigord noir .

    Voilà ! là un grand homme ,il y en aurais d’autre qui devrait en prendre modéle, car du courage il ne lui en manquer pas…hélas !..

    gros calin ma puce et prend bien soin de toi..
    calin de Michelotte

    Bisous Michelotte.
    Je passe bientôt.

  3. Eddy 11 avril

    Houla, mais tu nous fais ta rebelle là Malaika: la dernière lettre de Lumumba!

    Le drame c’est que cette lettre est toujours d’actualité. Les Nations Unies continuent d’être cette vaste fumisterie qui sert de caisse de résonance et qui n’a eu de cesse d’entuber (lol, je ne sais pas si ce mot est toléré sur ton blog, mais si je te promets un accappella de ‘Malaika’, tu m’excuseras?), d’entuber donc les africains depuis sa création.
    Ce que « nous » voulons, pour notre continent, son droit à une vie digne et honorable, les colonialistes ne le veulent pas et ne l’ont jamais voulu.
    Mais quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finira par se lever. Oui Lumumba, l’Afrique écrira un jour sa propre histoire. Pas celle qu’on enseigne à Bruxelles, à Washington ou aux « Nations » Unies.

    Bonjour Eddy,
    Merci pour ton commentaire sur mon blog. Tu es exceptionnellement pardonné pour avoir dérogé aux principes de la politesse la plus exquise de mon blog. Je ne t’ai même pas censuré il est des colère qui s’entendent et se comprennent. Et j’ai l’impression que tu as pris le soin de choisir le mot le moins « choc » pour dire ton indignation, écho de bien des nôtres, écho de décennies de gestion partiale d’une instance à priori internationale. Ceci dit monsieur : J’attends mon accapella de Malaïka. Je ne te lâcherai pas ! ;-)
    Quel Africain à l’oeil à demi ouvert n’a pas conscience que le « machin » n’est pas de notre côté. La destinée de l’Afrique dépend des Africains et de leur capacité à inventer leur histoire. Non Eddy je ne fais pas ma rebelle je suis un être à plusieurs facettes et le panafricanisme en est un et les injustices me mettent en mode énervé quelquefois. mais comme la musique adoucit les moeurs je rêve déjà de ta voix que j’espère magnifique chanter accapela Malaika Nakupenda Malaïka. (hihi). Merci frangin pour ta visite.

  4. Tchitchi 16 avril

    Toujours cet incroyable plume…Les délices se dégustent en silence chuuut…;

  5. Djobams 28 avril

    Ton blogue m’a fais chaud au coeur.continu compatriote tu n est pas seul.les paroles de lumumba sont fortes et brillent comme un éclaire.seul un esprit brillant peu comprendre et saisir la porte de ces mots qui réveille en moi ce cote rebelle.oui l afrique écrira son histoire lumumba tu peu en être sûr j’ ai un grand respect pour ce que tu as été pour nous tous.réveillons nous amis congolais ne perdons pas notre temps ainsi que notre dignité.

  6. Fiso 3 juin

    Salut Malaika :)
    Qu’est que j’ai pleuré quand j’ai vu le film de sa vie (Lumumba, à l’excellent cinéma « Images d’ailleurs ») …
    Cette lettre est bouleversante et malheureusement, toujours d’actualité !
    Bises

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