Patrick Bebey au baiser Salé : Un moment enchanteur à la confluence des temps et des mondes. 14 avril
Bonjour à tous,
Merci pour vos passages et vos mots si gentils. Je ne fais que passer car suis toujours en pause. Des raisons personnelles font que je ne peux tenir comme je voudrais mon blog et encore moins passer sur vos blogs pour échanger avec vous comme de coutume. La pause devrait se prolonger encore plusieurs semaines. Je ne résiste cependant pas au plaisir de rendre hommage et pourquoi pas vous faire découvrir un musicien et chanteur d’origine camerounaise (vouiiiiiiiiiiiiii) grâce auquel j’ai passé une soirée de toute beauté. Patrick Bebey musicien multi instrumentiste.
Je vous souhaite une belle semaine et vous envoie mes amitiés.
Malaïka
Samedi 12 avril, à quelques minutes de 22 heures, j’arrive au Baiser Salé pour le concert de Patrick Bebey. Le Baiser Salé est club de Jazz au centre de Paris à l’étage duquel les murs, s’ils venaient à parler, raconteraient sûrement des sons de folie. Des photos sur les murs racontent une part de la mémoire des lieux. Dans cette petite salle, bien des artistes ont fait leurs premières armes. Si vous interrogiez les murs ils raconteraient leur mémoire de la voix d’Angélique Kidjo, de la Bass d’Etienne Mbappe ou de Richard Bona. Les murs pourraient parler du piano prodigieux de Mario Canonge, et de tant d’autres artistes qui ont fait résonner leur talent dans ce lieu.
C’est dans cette salle aux murs mémoire d’histoire que Patrick Bebey et les musiciens qui l’accompagnent vont nous présenter » Oa na mba « son premier album. Un album écrit et composé en hommage à Francis Bebey figure immense de la musique, explorateur et défricheur de sons qui a accompagné bien des mémoires dont la mienne du divorce pygmée à Agatha en passant par O bia, un chant bouleversant par son sens et par l’histoire qu’il raconte. Francis Bebey dont l’absence depuis 2001 s’écrit en majuscule dans l’histoire musicale du Cameroun. Francis Bebey parti trop tôt avant que son fils ait eu le temps de lui offrir cet album hommage, cadeau qu’il voulait faire à son père de son vivant. Oa na mba, toi et moi. Le père et son fils, le fils et son père, une histoire d’hommes, une histoire de musiciens, une histoire que Patrick Bebey nous livrera sur scène sans la dire explicitement et qui laissera paraître l’ombre bienveillante du grand homme. Oa na mba. Pudeur et distance. La classe !
Oui tout au long du tour de chant la présence de Francis est là, en filigrane, non sur un mode castrateur mais comme le socle bienveillant d ‘une histoire musicale transgénérationnelle. Parfois quand la voix de Patrick descend dans les graves il laisse passer quelque chose de la voix du père. Il y a dans la voix un écho de nos mémoires, quelque chose de la voix de Francis : Oa na mba. On se sent comme à la maison, en famille.
Des similitudes apparaissent bien sûr dans le sens de la narration qui était une des particularités du chanteur disparu, ainsi qu’une façon d’aller vers des accents du terroir accentués jusqu’à la frontière de la caricature pour faire passer une idée, un rire, une émotion. Il y a comme un passage de témoin entre le père et le fils, le père passant à son fils le bagage de ses explorations musicales et le fils qui s’en saisit et l’élargit de ses propres explorations. Le Oa na mba de Patrick Bebey est un démenti rassurant du postulat selon lequel le meurtre symbolique du père serait la condition sine qua non pour exister et trouver son chemin dans la vie. Comme si pour trouver le chemin vers soi il fallait retirer à l’autre son droit à être. Fort heureusement nous assistons ici à un passage de témoin qui rappelle qu’il y a des lieux et des cultures dans lesquelles les générations coexistent et se stimulent pour avancer sans que l’une ait besoin de tuer l’autre.
Un moment fort de ce tour de chant sera l’interprétation de » Sanza tristesse « dont les lancinantes onomatopées introductrices disent plus que les mots la force et la douleur de la place vide laissée par ce père. Un moment bouleversant parce qu’il vient à la rencontre des absences qui parsèment nos voyages de vie. Comment applaudir à la fin d’un tel moment Comment dire que l’on a été touchée par la chanson sans applaudir. Dilemme de spectatrice. Mais revenons à mon arrivée au théâtre.
En arrivant dans la salle de concert, nous croisons Patrick Bebey dans les escaliers. Le contact est simple convivial, et l’homme semble heureux d’être là. C’est la deuxième soirée. De toute évidence les choses se sont bien passées la veille. Je suis étonnée qu’il prenne le temps de parler avec nous à quelques minutes du début de son tour de chant. J’imaginais les artistes en mode stress absolu avant un tour de chant. Encore un préjugé qui se défait. Le musicien accepte même de faire une photo dans les escaliers, oui mais, revanche sur nos indélicatesses de spectateurs inconscients de l’importance du moment pour le chanteur, la photo est ratée. Tous les appareils photos n’ont pas la vision du hibou dans le noir.
La salle de concert est petite et il y a du monde partout. Notre table est juste devant la scène. Merveilleux je vais pouvoir apprécier les moindres sons. Je suis heureuse que le bouche à oreilles ait bien fonctionné. Le chanteur musicien et moi avons le Cameroun en commun et je lui souhaite du succès, forcément. Ethnocentrisme inconscient ? Qui pourrait le dire ? Je dois à la vérité d’avouer que quand un talent trouve sa source par chez moi il monte en moi d’irrépressibles fiertés. Que voulez-vous on ne se refait pas.
Les musiciens arrivent sur la scène en traversant la salle. Le concert débute par des sons et onomatopées émises par Patrick Bebey. Ce sont des sons qui ressemblent à un scat à la sauce Al Jarreau. Ce son spécial semble être celui qui appelle les musiciens à débuter le morceau. Il reviendra quelquefois rythmer la soirée. Après le premier morceau Patrick Bebey présente son groupe et la complicité qui les unit est manifeste, cette présentation qui oscille entre ironie, complicité, amitié et respect pose l’ambiance de la soirée. Le groupe est composé de Marc Bertaux (le bassiste tranquille et efficace dont la basse soutient l’ensemble avec qui Patrick Bebey travaille depuis 25 ans) de Luis Augusto Cavani (le batteur son complice depuis 23 ans). Le groupe est complété par Alain Debiossat (saxophoniste magnifique) et
Edmundo Correiro (Percussionniste souriant et bondissant dont je ne garantis pas l’exactitude de l’orthographe du nom).
Le groupe invite la salle dans la complicité qui les unit et cette invitation pose
l’ambiance chaleureuse qui accompagnera la soirée. Plus tard dans la soirée le chanteur remerciera et taquinera sa mère présente dans la salle. Beaucoup plus tard dans la soirée, il invitera Fanta Bebey sa sœur à nous jouer un morceau de sa composition au piano. En entendant le piano de Fanta Bebey comment ne pas se dire que cette famille a reçu la musicalité et le talent en héritage ? Ils ont du parler la musique dès la petite enfance comme d’autres leur langue maternelle.
Patrick Bebey réussit la prouesse de nous inviter dans son monde sans déroger à cette pudeur signe d’une élégance de l’âme. La présence en nombre de sa famille au fond de la salle consacre la chaleur de la soirée.
La salle est métisse comme la musique que nous sommes venus écouter, preuve que la musique de Patrick Bebey si elle trouve ses racines dans les richesses de l’Afrique, ne s’enferme pas, mais s’enrichit de l’ailleurs. C’est une musique qui s’ouvre sur l’autre tout en l’invitant dans des voyages nombreux qui vont du jazz aux sonorités latines en passant par les forêts dans lesquelles vivent les pygmées. J’ai entendu dans les rythmes offerts des sons qui rappellent le bolobo de nos enfances. La musique de Patrick Bebey est le fruit d’un métissage tout en finesse, orchestré par un musicien qui se révèle comme un véritable alchimiste du son, capable de tirer d’un bout de bambou des sons harmonieux, lancinants, envoûtants, et invitants. De sa flûte pygmée sortent les chants de la forêt équatoriale. Il manie par ailleurs un étrange instrument nommé Sanza, synthétiseur africain et en tire des sons qui se marient de manière incroyable avec le saxophone. Telle est la musique, tel est l’univers de Patrick Bebey, riches, envoûtants et surprenants.
Avec humour, le chanteur affirmera que le rock et le reggae sont nés au cœur de la forêt au milieu des pygmées ! Le pygmée, figure récurrente de ce tour de chant sera le prétexte de la déconstruction des présupposés de l’occident sur l’Afrique et sur la part de son apport au patrimoine et à la richesse culturelle de l’humanité. Patrick Bebey nous offre un regard différent sur les arriérations supposées de ceux qui sont différents et vivent autrement. Le sourire en coin, la malice plein les yeux le chanteur met en scène un pygmée qui revient de la ville et raconte aux siens la sauvagerie de ceux qui se croient civilisés. Il raconte ceux qui, pris dans le courant de leurs égotismes font primer le matériel à tout prix sur l’humain (Dibiye). Le pygmée ironise sur la prétendue intelligence de ces gens de la ville, pas plus subtile que celle d’un lézard qui hocherait la tête.
Patrick Bebey stigmatisera par ailleurs les dérives de ces sociétés dans lesquelles mensonge, vol et gabegie sont monnaie courante (Ngambi), image tragique de l’état dans lequel se trouvent bien des sociétés africaines.
Conteur, il nous emmène à la rencontre d’Engome devant laquelle un amoureux transi vient dire la flamme qu’a allumée en lui la fille de cette dernière. Passer par la mère pour atteindre la fille. Sur Elimb’a Noah, le musicien entrouvre des portes l’une après l’autre et confie la tache de guide au Saxophone d’Alain Debiossat dont la musique semble nous saisir par la main pour nous emmener dans une exploration merveilleuse. La musique est envoûtante et s’habille parfois d’une folie superbement racontée par les percussions d’Edmundo et la batterie de Luis Augusto, deux musiciens brésiliens à la complicité souriante. La musique nous entraîne au cœur de la forêt symbole de liberté.
Un moment fort de la soirée a été celui durant lequel le chanteur a invité Woz Kaly chanteur sénégalais dont la voix extraordinaire a le pouvoir de toucher cette Afrique intérieure tapie au fond de soi et la faire émerger en frissons. Belle découverte que la voix de ce chanteur qui habite la musique et se laisse habiter par elle. Le passage de Woz Kaly, un moment comme on en redemanderait.
J’ai été touchée par l’hommage fait à Eyidi, cet oncle chanté autrefois par Francis Bebey, et figure symbolique importante du peuple Sawa qui a accompagné mes jeunes années à Douala. Eyidi ou le passage de témoin de la mémoire.
Avant de s’absenter pour rejoindre Eyidi et ces autres qui l’ont précédé, Francis Bebey disait à son fils » je te donne tout ce que je fais parce qu’il est important que quelqu’un continue après mon départ « .
Quand Patrick Bebey reprend une chanson de son père, il se l’approprie sans pour autant la ravir à son père. Ceux qui connaissent la chanson de Francis Bebey ont des impressions d’assister à un duo par delà les frontières du réel. Non que l’on ait sombré dans quelque mystique étrange, mais il se trouve simplement que la mémoire et le souvenir de Francis s’invitent pour un duo Ce n’est plus la chanson de Francis, ce n’est pas celle de Patrick c’est leur chanson. Francis et Patrick. Patrick et Francis. Oa na mba. Toi et moi. Le témoin est passé en beauté.
Il est plus de deux heures du matin, après un tour de chant entrecoupé par deux entractes, le spectacle se termine. Déjà ? Pas un instant je ne me suis ennuyée. Je suis étonnée que la nuit soit à ce point avancée. Pas un instant pendant le spectacle je n’ai fait attention à l’heure. La simplicité, la beauté et la richesse du spectacle offert sont de ceux qui ont le pouvoir de nous emporter dans un espace dans lequel le temps s’arrête et dans lequel la beauté s’offre à nous, s’ouvre à nous dans toute sa plénitude. Emporter avec moi le CD pour prolonger la grâce de l’instant était une évidence. La dédicace du chanteur qui a eu la patience de poser des mots sur nos CD à deux heures du matin est un bonus non négligeable. Que voulez-vous, on ne se refait pas.
J’emporte avec moi la mémoire d’un moment enchanteur que mes mots ne savent décrire. Patrick Bebey et son groupe, un univers à la rencontre duquel le voyage vaut la peine. Merci au groupe, merci l’artiste.
Je vous laisse découvrir des prémices de cet univers au travers des morceaux mis en lumière sur son « My space »