Savez-vous que ? Une histoire du racisme et de la xénophobie au quotidien 31 mars
Savez-vous que l’autre jour en sortant de chez moi je me suis fait agresser verbalement par un homme qui a utilisé des mots abjects pour me signifier que je n’étais pas chez moi et que je devais par conséquent rentrer dans ce chez moi qu’il devinait hors d’ici à la couleur de ma peau ? L’homme n’avait ni l’excuse de l’extrême jeunesse ni celle qu’on prête à l’âge avancé qui déraisonne. C’était un homme jeune d’environ vingt-cinq ans qui n’a rien trouvé de mieux à faire qu’agresser verbalement une femme un matin. Propos outranciers et grossiers, déversement d’une haine plus grande que lui. Savez-vous qu’un jour en sortant du RER à la station Nation j’ai croisé une dame d’un certain âge qui faisait la manche. Je lui ai donné une pièce et il s’est produit une chose surréaliste. La femme s’est mise à m’insulter et à vociférer contre « la m… qu’avait ramenée le Général de Gaulle d’Afrique ». Elle me sommait avec haine de rentrer chez moi. Violence de mots sur un quai de gare. Histoire banale d’une personne dite « de couleur » (expression que soit dit en passant, j’exècre), face à la violence des mots. Histoire banale parce qu’elle se répète prenant des visages différents mais portant la même violence et les mêmes séismes. Histoire qui devient répétitive, qui se banalise dans les faits mais à laquelle je ne peux m’habituer.
Pour revenir à ce jeune homme et à cette dame d’un certain âge qui m’ont envoyé mon altérité pour l’un et mon africanité pour l’autre à la figure comme une insulte obscène. Ils se sont basés sur ma couleur de peau pour déduire que je n’étais pas d’ici. Tiens tiens !!! En se basant sur la couleur de peau d’une femme à Paris, un homme et une femme d’âges différents en on conclu qu’elle était d’ailleurs et devait y retourner. Aïe ! ça cache un présupposé effarant si l’on sait que l’être français n’est pas le fait d’avoir une couleur de peau.
Je peux décider de me cacher derrière la raison pour laisser derrière moi la dimension émotionnelle de l’offense mais je n’en ai pas envie parce que la banalisation de la parole raciste n’est pas qu’un fait divers lu dans la presse, rapidement dénoncé, le temps de remettre la tête dans le sable comme une autruche en se répétant « tout va bien, le racisme est marginal dans la société » au point de finir par y croire. Oui mais la vérité est qu’il n’est pas marginal, il l’est de moins en moins, des femmes et des hommes s’autorisant impunément la parole qui blesse, agresse et/ou humilie l’autre. Il se trouve que cette banalisation affecte le quotidien de plusieurs personnes. Moi je ne suis qu’un épiphénomène, une goutte d’eau dans l’océan de cette violence verbale qui parfois se transforme en actes.
Je me souviens que le jour où le charmant monsieur dont je parlais plus haut m’a agonie sa haine matinale, ma hantise était qu’il sache où j’habite (je n’étais qu’à quelques mètres de chez moi) et qu’il revienne convertir ses mots en violence physique. Le problème c’est que je ne suis pas capable de le reconnaître, je le croiserais que je ne le reconnaîtrais pas. Il était dans mon environnement de vie. Ce n’est pas rassurant. Je veux croire que je ne le croiserais plus.
Je ne peux pas brider les émotions que l’on ressent dans un tel cas et prétendre constamment atteindre des sommets de « zenitude ». La violence du racisme entraîne des déflagrations internes dans celui qui en est la victime.
Le racisme au quotidien c’est entendre un agent de la préfecture de police au service des étrangers me dire du temps où j’étais étudiante « pourquoi faire autant d’études puisque dans votre pays on peut être ministre avec le BEPC ». Le racisme au quotidien c’est de rester pétrifié devant cette femme qui se trouve drôle et qui pourtant ne l’est pas, et qui éclate de rires aidée de ses collègues dans un absolu sentiment d’impunité. Elle a le pouvoir, je mendie le droit de rester en France à ses yeux. Peu importe si j’ai tous les documents nécessaires eu renouvellement de mon titre de séjour, elle se sent en position de tenir des propos humiliants pour moi et pour mon pays. Le racisme au quotidien c’est ne pas pouvoir dire les mots qui me montent aux lèvres parce qu’elle a le pouvoir administratif de me pourrir la vie de différentes manières et a de fait développé la détestable mentalité de « petit chef » dont nous sommes tous un jour victimes à un moment où à un autre. Ca fait plus de quinze ans , et son visage ne m’a pas quittée. Le racisme au quotidien c’est sortir d’un service public avec ce sentiment d’humiliation et d’impuissance, c’est de ravaler sa colère et ses larmes éventuelles, de redresser la tête et de se dire que ça ne nous atteint pas. Le racisme au quotidien c’est n’avoir commis aucun délit et ne pas se sentir protégé quand la police déboule de peur d’être criminalisé par sa couleur. Les conséquences du racisme au quotidien c’est l’intériorisation de cette insécurité comme allant de soi. Les conséquences du racisme au quotidien c’est le sentiment qu’il faut raser les murs pour être toléré.
Le racisme au quotidien c’est d’entendre quelqu’un me dire « oui mais toi tu n’es pas comme les autres, tu n’as pas d’accent (j’en ai un désolée et je l’assume d’autant plus qu’il me raconte, il raconte mes origines et l’endroit où je vis, il est une synthèse de la personne que je suis avec ses voyages et son histoire), tu ne t’habilles pas comme eux. En un mot « toi au moins tu es une africaine acceptable ». Le pire c’est que ceux qui disent ces mots ne réalisent même pas que ce n’est pas un compliment, mais que c’est une offense absolue. Mon africanité n’est pas une tare, ni une injure n’en déplaise aux abrutis. Mon rêve secret n’a jamais été de m’en défaire, n’en déplaise aux sots.
Alors quand j’entends de certains hommes politiques et intellectuels irresponsables qui criminalisent à mots couverts les origines et la culture des autres je trouve ça de plus en plus insupportable. Je voudrais crier que derrière la figure de l’immigré, investi aujourd’hui à tort de la responsabilité de bien des problèmes de la nation, il y a des humains désécurisés au quotidien par la levée de tabous qui libèrent l’expression de la haine.
Derrière la figure de l’immigré « vorace et dangereux » pour le pays qui l’accueille il y a des personnes qui ont eu la faiblesse d’aimer un pays d’accueil et de vouloir construire une histoire commune avec lui. Derrière la figure du « profiteur » décliné sous toutes les formes dans les meetings politiques, il y a des individus qui ont une histoire autre que celle caricaturée par ces personnes aspirant aux plus hautes fonctions de l’Etat et qui sans gêne nous instrumentalisent pour être élus sans se soucier de l’humain derrière le mot tant galvaudé de l’immigration. Derrière cette figure, il y a moi et il y a d’autres qui vivent cette campagne électorale comme un doigt accusateur pointé sur eux comme cause de tous les maux qui prennent aux « ayant droit » travail et logement. Savez-vous que je me suis surprise à me sentir fautive d’avoir un travail ? A force de mots, à force de violence, voici un exemple de ce qui est semé dans un cœur d’humain derrière la figure de l’étranger prédateur. Les hommes politiques véhiculent sans vergogne ces images d’Epinal et monsieur et madame tout le monde fragilisé par la misère et la peur du lendemain ou nourri au biberon des thèses haineuses se sentent libres de tagger les murs d’un médecin dont la « faute » est d’être noir, d’insulter une personne qui vous fait l’offense de lui faire l’aumône alors qu’elle n’est que cette « m… ramenée d’Afrique par que général de Gaulle », ou de vomir sa haine matinale sur une femme qui sort de chez elle pour aller travailler.
J’en ai vécu des campagnes électorales en France, mais je ne vous cache pas que celle- ci m’est la plus intolérable. Pourtant il y a eu le 21 avril 2002. Il y a eu l’amalgame honteux et sournois entre immigration et insécurité. Le problème c’est que dans l’esprit de plusieurs aujourd’hui les deux mots se confondent comme une évidence criminalisant l’altérité. Jusques à quand ? Ils ont gagné les vecteurs de haine, mes regards se tournent vers un ailleurs parce et je sais qu’à terme, pour mon propre salut je partirai. Pourtant ce pays j’avais choisi d’y rester parce qu’il avait, et continue d’avoir un place particulière dans mon cœur. Tant pis pour une histoire d’amour apparemment à sens unique entre ce pays et moi. Tant pis pour les murs d’incommunicabilité érigés à coup de phrases et de bon mots par le monde politico médiatique. Je ne veux pas porter la figure du parasite, je refuse de l’intégrer. Partir pour ne pas périr, ou au moins rêver d’un ailleurs pour ne pas être détruit et se dire qu’une autre vie reste possible. Dérisoire refuge de l’altérité.
C’est le coup de gueule d’une personne sans voix et sans visage et qui n’a aucun poids ni aucune importance dans les enjeux du moment, mais qui existe, oh oui qui existe derrière le fantasme et les généralisations absurdes et imbéciles.
Paris le 31 mars 2007